vendredi, avril 20, 2007

Ma résistible ascension.

Je ne vous l'avais pas précisé mais j'étais candidat à la présidence de la République française. Un sinistre complot de la presse internationale vous avait privé de cette information, à l'exception notable de Marie-Claire, Nous Deux, Jeune et jolie et l'Echo des étangs de Ponchon, les seuls journaux véritablement indépendants de notre presse, les sphères de liberté de notre bulle médiatique.

Entre deux articles sur l'arthrose du genou, les maquillages gothiques , les tendances Damart de l'été ou les heures d'ouverture de l'auberge des Trois Oies, dont le nom provient d'une légende locale bien connue et qui n'a cessé de frapper les esprits depuis lors mais je m'égare peut-être, mon programme serait presque resté inaperçu : pourtant, mon meeting de Ronchin et mon appel solennel de Troyes dans l'Aube furent entendus. Je suis élu.

Mon programme consistera à demander un rattachement de la France éternelle, de la France humiliée mais de la France libérée par le Mouvement Progressiste des Conservateurs de Gauche à Droite soit à la Présipauté du Groland, que sa politique diplomatique place parmi les têtes de pont prestigieuse de l'Europe aux côtés du Lichtenstein et d'Andorre, soit au royaume de Wallonie dont le redressement économique a même époustouflé Monaco et Singapour.

Voici venu le temps des rires et des chants : en Ubuland, ce sera tous les jours le printemps.

Raison et sentiment ?


Je ne vais pas vous faire le coup de gloser aimablement sur les affres du coeur des jeunes bourgeois anglais du temps de Jane Austen. Je ne vais même pas vous asséner le rappel des épisodes de l'histoire artistique où l'idée de raison domina la passion : au fond, c'est fou le nombre de choses que j'ai pris l'habitude de ne pas faire...

Et pourtant, pour le simple quidam que je suis, l'appel aux émotions ou à la raison me laisse souvent perplexe. Oh, je ne parle pas de mes émotions intimes, que je ne vous raconterai pas, de crainte d'être assimilé à d'autres sites interdits aux mineurs : et puis, n'est-ce pas le printemps pour tout le monde ? Non, je songerais plutôt à la perte de substance que subissent la raison et les passions lorsqu'elles sont galvaudées au gré des discours officiels et, de fait, des impressions particulières.

Quand nous contraint-on à faire appel à la raison ? Lorsqu'il faut nous soumettre à une situation qui nous serait livrée, clés en main, comme un pavillon de banlieue standardisé ou une chalandonnette en série : le gros défaut de ces aimables architectures, en apparence confortable, réside dans leurs défauts qui en rendent l'occupation particulièrement nourrie en surprises diverses et variées. La raison politique nous ménage des effets similaires et le discours gestionnaire, qui a remplacé les idéologies, se nourrit de ses propres aberrations. A la veille de sa défaite en 2002, le très solennel (et mauvais perdant) Lionel Jospin, à propos des licenciements massifs dans le groupe Michelin, osa affirmer que lui, politique, n'avait aucun pouvoir sur l'économie de son pays. Quel sens des responsabilités politiques, quel talent de gestionnaire, quel beauté classique du héros antique qui, tel Sisyphe, nous affirmait autant son travail que l'inutilité de celui-ci ! En grand pédagogue, il nous rappelait que les politiques ne sont ni incompétents ni bons à tuer : ils sont entre les deux. Tout politicien affirme ses positions en fonction de chiffres, de statistiques, d'indicateurs de tendance, d'échos du pays réel, une sorte de florilège moderne des pensées creuses, mais rassurantes puisque rationnelles, de Joseph Prudhomme. Et c'est avec ce bon sens, très commun, qu'il doit nous convaincre de ses qualités de candidat au pouvoir, auquel l'électeur, dans un élan dont le rationalisme m'émeut - je ne vous dis même pas à quel point depuis la parité - doit l'envoyer avec des félicitations qui ne doivent qu'à la lucidité froide et équilibrée d'une raison au pinacle, donc immobile.

Après le temps de la raison, qui justifie toutes les inerties, vient le temps des sentiments : le candidat regarde la France, la Creuse, la Wallonie, l'arrondissement de Seveso-les-Berdouilles ou la circonscription de Trifouillis-les-Oies (biffer les mentions inutiles) les yeux dans les yeux. Ils communient dans les mêmes peurs et dans les mêmes rêves : et le spectateur de se sentir submergé par de vraies larmes, comme lorsqu'un notoire quelconque vient nous faire partager les désagréables sensations que lui procurent un furoncle mal placé ou des hémorroïdes particulièrement malveillantes. Notre candidat se lance ainsi à l'assaut de l'insécurité, au moyen d'un quelconque fait divers polymédiatisé tandis que d'autres faits, qui relèveraient de sa compétence sont prudemment circonscrits, ou entonne son chant de l'espoir en une reprise qui, de toutes façons, laissera sur le carreau certaines catégories de citoyens (la pudeur l'empêche de les nommer "électeurs", déclaration d'amour qui ne s'exhibe pas mais se sous-entend) lorsque sa raison aura repris le dessus, immédiatement après la formation de l'instance exécutive tant attendue, en tout cas par lui.

L'électeur mérite-t-il vraiment de telles danses cadencées, où le pas martial de l'oie gavée succède aux pirouettes opportunistes d'une valse, suivie bientôt d'une joyeuse farandole et de mon plus que probable lumbago ? Au fond, pourquoi pas ? Celui qui se méfie de la politique, au nom de sa raison ou de ses sentiments, se précipite vers de quelconques boutiquiers qui lui assènent leurs idéaux de bonheur formaté : entre croissance et consumérisme, avec les nécessités très logiques de l'ordre, pour que le système ne se casse pas la figure comme le passant imprudent qui se laissait distraire par une physionomie agréable, quoique manifestement de sexe opposé (enfin, là, je parle pour moi !). Ensuite, le citoyen "responsable", le consommateur méritant s'acquittent de leurs frustrations et leur trouvent des raisons. Et les uns de râler contre l'excès d'impôts, qui nuit à leur confort et leur donne l'impression de vivre dans un pays communiste lorsqu'ils s'acquittent de leur télé redevance ; les autres de s'emporter contre les "invasions barbares" qui nuisent aux peurs qu'ils pourraient secréter d'eux-mêmes, en pure autarcie ou en consanguinité bien comprise ; et tous de réclamer un camouflage des misères trop voyantes pour préserver leur illusion d'immunité et d'accuser les thermomètres de pointer leurs propres fièvres...

En fait, ni la raison ni les sentiments ne peuvent traduire nos mentalités : nous rêvons d'épure, comme si l'utopie se dessinait sous nos yeux, alors même qu'elle nous échappe chaque jour au gré de nos propres rancoeurs, fruits des frustrations que nous n'osons nous avouer. Notre exaltation des sentiments nous pousse au pathétique, même dans la recherche du plaisir ; notre envie de raison nous inscrit dans toutes les compromissions, jusqu'à mécaniser notre obéissance. Et nous poursuivons sans cesse ce rêve d'être ce que nous ne serons jamais dans un endroit qui n'existera pas : même l'ivresse de notre inconstance ne nous permet pas de l'oublier, fût-elle revêtue des hardes de la raison ou des guenilles du sentiment.


jeudi, avril 12, 2007

Deux personnages en quête d'auteur ?

Ces vacances se passent plutôt bien : le printemps sourit, le soleil brille, les jours s'allongent tandis que les jupes raccourcissent, selon un paradoxe bien connu. Et puis, les mauvaises nouvelles prennent une certaine distance quand on prend le temps d'avoir le temps.

Pourtant, deux personnages ont perdu leur auteur durant ces deux dernières semaines : l'inspecteur Ali et Kilgore Trout. Driss Chraïbi, le créateur du premier, est mort le premier avril : un drôle de poisson pour un écrivain capable de manipuler l'humour à travers les aventures de son personnage fétiche. Kurt Vonnegut est mort ce mardi, ou peut-être mercredi, ce qui dénote une certaine indécision qui lui était coutumière. Par contre, Pascal Sevran et Christine Angot sont toujours vivants : il est vrai que la face de la littérature ne serait pas vraiment modifiée par la disparition de ces écrivaillons médiocres qui accommodent les restes de leur vie insignifiante en autant de réflexions censées animer les soubresauts des hospices gériatriques ou des bistrots pour bobos quadragénaires. Et le pire, c'est qu'ils ne le sont même pas, les pires : ils sont juste un peu plus médiatisés que la moyenne parce que leurs interviews sont vendeuses. Et l'animateur invertébré de télévision d'exposer ses pensées en toc face à l'écrivaine animée de tous ses tics : s'affirmer ne veut pas dire réfléchir...

Avec Chraïbi et Vonnegut, ce sont deux défenseurs d'une autre conception de la littérature qui disparaissent : dans leurs oeuvres, ils s'étaient créé un alter ego avec qui ils entamaient une conversation. Ils construisaient une relation textuelle, porteuse d'autant plus d'émotions qu'elles s'affinaient entre sentiments et intelligence. Chraïbi envoyait son inspecteur aux confluents de ses errances et le transformait en point de jonction : de ses cultures conflictuelles, des relations équivoques d'un auteur avec son personnage, d'un passé lourd de souvenirs et d'un présent qui pardonne sans oublier. Vonnegut, lui, envoyait son écrivain raté sur les routes de tous les possibles : il y exprimait une satire du cauchemar, entre Dresde et les territoires rêvés de la science-fiction. Au fond, ils se livraient bien davantage que dans des autobiographies de circonstance, crapoteuses versions longues des articles de la presse de caniveau, ou dans des journaux qui visent Léautaud mais tapent lamentablement à côté.

La disparition de Chraïbi et de Vonnegut nous ferme un monde, là où d'autres nous auraient simplement débarrassé l'horizon : certaines absences brillent.


jeudi, avril 05, 2007

Screamin' Jay Hawkins - Constipation Blues

Une petite vidéo complémentaire au message précédent...

Si tu donnes un poisson...

Dois-je vraiment revenir sur les propos d'un certain évêque, moi qui ne les aime que Pont-l', fait à point ? Dois-je vraiment évoquer la personnalité de M-M Léonard, confite dans sa suffisance comme un marron dans le cul d'une dinde ? Dois-je évoquer les afféteries de Monsignore, directeur des consciences un peu troubles de tous ces garants de l'ordre moral qui lui collent au cul comme autant d'hémorroïdes ?

Si je dois encore les rappeler, c'est que vous n'avez pas usé de ces liens que ma magnanimité place à votre disposition : je ne me fâcherai pas sur vous, ô lecteurs, mais je me demanderai tout de même si cela sert parfois à quelque chose qu'Ubu se décarcasse, surtout qu'il faut se représenter ce boulot-là.

M&M Léonard, beati pauperes spiritu, a donc déclaré sa foi et ses convictions pour tout ce qui ne le concerne pas. Il rappelle une norme qui ne convainc que lui-même et quelques catholâtres, qui se demandent entre le pain décongelé et le cubi quotidien à quel renouveau charismatique se vouer. M&M Léonard leur parle, avec ces propos que son grand âge laisse filer : M&M Léonard doit se sentir seul. En France, il pourrait compter sur le soutien patent du Vicomte De Villiers, sur la Vendée blanche, sur Bernard Antony et ses intégristes , qui gravitaient derrière le FN et sur la galaxie des cathos de choc, traditionalistes toujours présents dans l'Eglise officielle. Pas sûr qu'il rencontre un tel succès en Belgique : en ce plat pays qui est le nôtre, malgré des velléités de rassemblement des charismatiques de choc, ces pinailleurs qui admirent la force dans ce qu'elle a de plus crétin, ces intrigants de chapelle, il devient difficile de s'affirmer intégriste. Pas impossible, ne rêvons pas : juste difficile !

Il y a des chrétiens honorables, dont la morale n'attend pas les ordres d'un quelconque prélat pour se manifester : ainsi en va-t-il sans doute de toutes les religions. De même, il y a ces bigots douteux qui, pour préserver leurs sinistres fondements, resserrent leurs sphincters étroits dans un mouvement qui comblerait de joie n'importe quel psychanalyste. Ceux-là en sont resté au stade anal : c'est leur obsession, ils font leur religion sous eux et comptent bien nous emmerder avec leurs croyances de constipés qui se lâchent. Ils inventent une norme à laquelle ils s'accrochent comme à une épave : ils expriment leur désir de réglementer ce qui leur échappe, tout ce qu'ils ont perdu. De là cette scatologie du sentiment religieux, dont la suavité du discours ne camoufle qu'imparfaitement les relents excrémentiels.

En fait, les propos de ce genre de religieux devraient être pris pour ce qu'ils sont : des plaisanteries grasses de fin de banquet, comme si certaines cènes s'étaient retrouvées résumées en beuveries de corps de garde, comme si la bêtise des oeillères ouvrait des perspectives sur soi-même, comme si la vérité se manifestait désormais sous la forme de flatulences incontrôlées. Et de se conclure sur un "Allez en pets" de rigueur.

Au fond, peu m'importent les propos de quelque fanatique religieux, de quelque édicule il se prévale. Si j'éprouve encore du respect, même amusé, pour ceux qui ont la sincérité de croire, c'est parce qu'ils auront l'honnêteté, je l'espère, de se démarquer de ces prétendues lois qui s'érigent sous l'affirmation. Pour tous ceux-là, et pour nous aussi, qui ne croyons à rien d'autre que l'homme (et la femme, surtout au printemps, mais ce sujet reste intime, si vous le voulez bien), je propose un moratoire sur les religions constituées et sur tous les culs-bénits, sur les idéologues de caniveau, sur les fondamentalistes de la rétention, bref sur tous les prêcheurs qui nous empoisonnent l'existence.

mercredi, avril 04, 2007

La manifestation

Il balaie les tracts chiffonnés : regroupés sommairement près du caniveau, ils agonisent avant de se retrouver dans la poubelle verte pimpante. L'air sent encore la poudre et le sang, les échos des cris de douleur ont succédé aux cris de colère, jusqu'au silence présent. La ville se réveille, elle a la gueule de bois. Certains évoquent des coups de feu, d'autres des morts ou des blessés, tous baissent la tête, accablés. Les tracts son regroupé en un tas sale : ils s'accouplent dans les derniers soubresauts du vent. Bientôt, le promeneur ne voit plus que les affiches colorées que semble enluminer le soleil : Loterie exceptionnelle, Promotion, Fruits frais. Les ouvriers communaux replacent les pavés un à un : à chaque coup de masse, la ville se lézarde et vieillit, repliée en elle-même. Elle a déjà cicatrisé.

Quelques anciens passent et revoient les rides de ces journées-là : tout leur semblait possible, dans la violence rageuse de leur jeunesse. Aujourd'hui, ils recherchent les ressemblances entre le dessin d'une ride et d'éventuelles irrégularités de la rue mais celle-ci est propre et nette, rasée de frais. Le bruit des klaxons, la fumée des moteurs, les claquements des portières sonnent leur glas à chaque seconde : ils se sont donc battus pour un monde d'indifférence et de vitesse, un monde propre.

Pourtant, quelques graffitis apposés sur une affiche publicitaire les font encore sourire. Une tenue excentrique, une manière de rire aux éclats, un regard noyé de soleil les secouent encore. Alors, le vieillard s'appuie sur sa canne et bloque vingt, trente voitures dans un embouteillage de plomb : ils ne passeront pas. Alors, deux anciens retrouvent leur voix, haute et forte, à en faire vibrer le thé des rombières. Alors, d'anciens combattants bloquent les terrasses, les transports, les rues, les trottoirs et contrefont la vieillesse.

Leurs souvenirs continuent à se battre.

mardi, avril 03, 2007

Déontologie professionnelle ?

J'ignore ce que donnerait un comité d'éthique des professeurs : en fait, si j'en crois l'expérience des organismes qui existent dans l'une ou l'autre profession, nous aurions vite accès à des débats verbeux, puisque les pratiques douteuses sont camouflées sous le jargon professionnel. Et les médecins, les journalistes, les avocats que l'on respecte sont ceux, qui, en fin de compte, ont autant le courage de leurs engagements que le sens de leurs responsabilités.

Un professeur devrait assumer ses responsabilités, en dépit des bêtises des directives officielles. Nous n'ignorons pas que la loi n'est qu'un petit, voire médiocre, dénominateur commun et que le juridisme, censé lutter contre les incivilités, n'aboutit dans les faits qu'à un simulacre de justice, mauvaise comédie dont les acteurs ignorent leur rôle. Et pourtant, faute de pouvoir agir sans elle, il nous faut la prendre en compte sans sacrifier notre conception de notre métier.

"Je ne faisais qu'obéir aux ordres" ou "Le ..., c'est la discipline", entendons-nous ici ou là : au nom de l'action, il faudrait se soumettre à l'ordre, aux ordres, aux directives et sacraliser les commandements. Choisir systématiquement la norme, ou la contester de manière aussi systématique, c'est conclure qu'elle est un idéal à atteindre, alors qu'elle n'est qu'un moyen de fonctionner : l'intérêt d'un jeu ne réside jamais dans ses règles mais dans nos facultés à les adapter ou à les transgresser. Sans cela, nous nous résignerions à n'être que des créatures mécaniques, soumises à leur instinct individuel ou à ce supposé code collectif qui se substitueraient à nos propres pensées.

Mes élèves ignorent mes tendances idéologiques : je ne les affiche pas tant qu'ils restent sous ma responsabilité. Je maintiens une relative neutralité philosophique et politique dans mes relations avec eux : sans ce réflexe, plus de débat possible et plus d'argumentation concevable. Je ne puis me concevoir comme une autorité qui concéderait une certaine tolérance dans ce métier que j'ai choisi : je n'ai pas moins de préjugés que mes élèves mais ils sont vécus de manière différente. Des centaines d'élèves les ont remodelés, au fil du temps, me poussant à remettre en question mes objectifs personnels et professionnels, à jouer avec mes propres références tout en évitant de les projeter sur ceux qui m'étaient confiés. Et, finalement et provisoirement, je me suis aperçu que j'appréciais les cadres de référence autant que l'instabilité des interprétations : les premiers me structuraient tandis que les secondes me poussaient à évoluer, comme si les ressorts de l'imagination abolissaient le temps, non sans un certain scepticisme.

Mes élèves peuvent disposer de ce que je leur enseigne, en toute individualité : ce n'est pas nécessairement un cadeau que d'avoir à me contester, à m'approuver ou à me transgresser, puisque j'incarne, parfois malgré moi, l'une de ces autorités qui les abreuve pendant cinq heures hebdomadaires. Il me faut donc essayer de poursuivre cet exercice de haute voltige entre mes idées, celles que j'enseigne, les leurs, et toutes les interactions possibles que la communication met en jeu. Il y a bien des jours où ce jeu d'équilibre perpétuel me fatigue, moi qui trébuche sur le moindre pavé inégal bien concret ou qui connus des emportements radicaux du côté de l'adolescence, d'ailleurs pas tous évanouis. A ces moments de résignations, où mon mauvais caractère se manifeste dans toutes ses sonorités, succèdent des instants d'euphorie, des explosions ou des mises en retrait, selon l'équilibre requis.

Je ne pourrais enseigner en me restreignant à ce dont je serais porteur : mes valeurs et leur hiérarchie, toute relative, n'ont que l'importance d'un port d'attache. Je dois m'en éloigner autant que possible pour les retrouver dans leurs changements, tout comme je dois affronter les territoires méconnus où je m'aventure, avec la certitude d'en revenir modifié. Affirmer des principes, ériger des statues à idolâtrer, édicter des préceptes : autant de comportements qui aboutissent à l'échec de ce que l'on voudrait préserver. De même d'une déontologie professionnelle : elle pourrait tout au plus lutter contre des aberrations manifestes, sans jamais atteindre les consciences, parce qu'elle s'érigerait en principe et nous absoudrait de nos responsabilités et, à terme, de notre autonomie.

Nous avons tout un monde à digérer : il nous modifie autant que nous le changeons. Prétendre le préserver ou le dynamiter, c'est au mieux un réflexe nostalgique de romantique caché dans sa tour d'ivoire, au pire un repli étriqué encastré dans une chapelle quelconque, illusoire et éphémère. Je persiste dans ma réalité au bord des rêves.