mardi, juin 26, 2007

Quelques travaux pour l'été...

Me voici de retour : enfin, presque. Après avoir corrigé les travaux de mes élèves, leurs fautes et leurs erreurs, après avoir procédé aux délibérations d'usage, il me reste deux échéances : la cérémonie de remise de prix en rhétorique, dès demain, et la remise des bulletins à la classe dont je suis titulaire. Évidemment, nous n'aurons pas évité quelques grincements et quelques réelles déceptions : et comme les résultats n'étaient guère enthousiasmants, cette année, les déceptions furent aussi celles des professeurs. J'avoue que je ne m'habitue pas à certains redoublements : le gâchis me déplaît, surtout lorsqu'il était réellement évitable. Mais je ne vais pas vous sortir mes états d'âme du professeur avant la remise des bulletins : au fond, ils n'intéressent que moi.

Par contre, je me suis amusé avec les gadgets que j'ai réussi à installer sur ce blog. Le premier, Box.net, me permet d'enfin vous donner accès facilement à quelques morceaux de musique (dont un que j'espère prémonitoire) que j'aurai sélectionnés et chargés moi-même. Si mes derniers choix ne vous plaisent pas, vous pouvez toujours aller du côté de radio Ubu, en bas de page, ou passer sur Radioblog mais mon nouvel outil me semble plus léger et maniable.

L'autre gadget est simplement génial : Snap Shots permet de prévisualiser les pages auxquelles renvoient mes liens . Au fond, c'est une sorte de variation de la zappette adaptée à Internet. Bref, les surprises deviendront un peu moins étonnantes pour vous mais que ne ferais-je pas pour mes (nombreux ?) lecteurs fidèles ?

Ensuite, il me faudra actualiser mes liens, entre nouveautés intéressantes et disparitions regrettables, et écrire l'un ou l'autre texticule jusqu'à ce que je trouve enfin quelque chose à dire. Et après ces quelques nouveaux travaux, il me faudra retourner plus sérieusement à mes lectures, sur le réseau ou dans mes bouquins.

Au fait, qui avait parlé de vacances ?

jeudi, juin 07, 2007

le foulard et la manière : fin.

Passons à la pratique, maintenant.

L'école peut faire peur : aux parents, surtout lorsqu'eux-mêmes pratiquent peu la langue d'enseignement et se retrouvent en situation de hiatus culturel ; aux élèves quand le dialogue est inexistant ou se résume à des confrontations permanentes avec les autres élèves ou avec les enseignants ; aux enseignants, lorsque le système déraille ou lorsque les élèves ont décidé de ne plus assumer cette fonction. Mais faut-il pour autant sanctuariser un établissement scolaire à tous niveaux ?

Je n'en suis pas convaincu. S'il me semble nécessaire, comme prof, de prémunir autant que possible un établissement de la violence, par exemple, ou des incursions prosélytes, il ne me semble pas opportun de rejeter a priori un code vestimentaire, quels qu'en soient les motivations : une école qui s'affirme ne peut vivre repliée sur elle-même. Et un respect mutuel peut s'instituer si les élèves acceptent de concéder, c'est-à-dire de discuter de ce qui serait extrême, pour marquer leur acceptation et si les professeurs acceptent de concevoir leurs élèves sans s'attarder sur ce qui reste périphérique.

On peut concevoir une école sans training, sans casquette (références obligent !) et sans prison de toile : c'est rappeler à l'intelligence de la situation. Par contre, interdire ce qui pourrait sembler constitutif de sa personnalité, pour l'élève, pose un réel problème. Le vêtement a toujours été une tentative d'appropriation de sa personnalité sociale : rejeter signifie porter un jugement. Encore faut-il le fonder sur des motifs légitimes, liés à une situation évaluée avec pragmatisme, et ne pas se référer à une doctrine, puisqu'on n'éduque pas à coups de doctrines.

C'est sans doute là ce qui me dérange le plus, dans cette querelle épisodique du foulard à l'école. C'est certainement un problème mais défini souvent de la plus pitoyable des manières puisqu'il est rarement fait place à l'éducation dans ces querelles. L'éducation est une double triangulation : nous l'avons conçue à l'intersection de l'élève, de l'école et des parents et à la croisée de l'acceptation, de la contestation et de l'expérience. Interdire un code vestimentaire, c'est nier l'existence d'un ou deux partenaires de l'éducation : osera-t-on alors encore se plaindre de l'absence des parents, du décrochage scolaire des élèves dans un établissement où le dialogue n'est plus envisagé ? Par ailleurs, comment assister une quelconque construction personnelle si l'on exclut l'élève du champ de l'expérience et qu'on le place dans la situation de se soumettre ou de partir ? Ce n'est plus de l'enseignement, ceci ressemble à "La doctrine enseignée à ma fille" que véhiculent certains ouvrages douteux : et l'on ne parle plus d'éducation mais de camps en présence, comme si une école avait besoin de relayer et de cristalliser des conflits qui lui sont externes.

Par ailleurs, au nom de quelle déontologie irais-je juger de l'intimité de mes élèves ? Ils peuvent être homos, hétéros, cathos, écolos, socialos, libéraux, religieux, athées, agnostiques, musulmans, juifs, orthodoxes, bouddhistes ou ce qu'ils veulent : je n'ai pas à les déterminer parce que je ne vivrai pas leur vie. Je peux juste espérer qu'ils auront une personnalité équilibrée qui leur évitera les tentations extrémistes. Je peux juste espérer qu'ils auront pu savourer mes petits cours littéraires et mes petites approches philosophiques, qu'ils accorderont à ceux qu'ils croiseront les mêmes libertés dont ils auront disposé, qu'ils seront contents d'être ce qu'ils sont. Leur personnalité sera de toutes façons ce qu'ils en feront : ma sympathie leur est déjà acquise s'ils savent ce qu'ils choisissent et je revendiquerai toujours la liberté de ce choix-là.

Je suis fier d'être enseignant parce que je suis fier de mes élèves : ce sont des individus. Je refuserai toujours le climat de honte que certains désirent leur imposer, que ce soit au nom de leur extrémisme religieux ou de leurs convictions. Je n'ai pas le temps de m'occuper de ces professionnels de la peur, de ces concepteurs de paranoïas de supermarché : j'ai école.

Le foulard et la manière : suite.


Je suis plutôt athée : ce n'est pas contagieux. Pour diverses raisons, qui me sont propres, je ne crois pas en grand-chose et l'idée d'une religion constituée me file des boutons. J'en suis même venu à me méfier de tout ce qui évoque le rite, qu'il se réfère à une transcendance ou pas. Les baptêmes laïques me font autant pisser de rire que les évangélistes, l'ésotérisme me gonfle autant que les textes dits sacrés, les esprits sectaires m'horripilent qu'ils soient en cercle, en procession ou en quinconce. J'ai sans doute mauvais caractère mais je ne représente que moi : je ne suis capable de fonctionner en collectivité que lorsque je respecte des individus.

Dans mon métier, justement, je me retrouve face (ou à côté, selon que la taille de la classe m'autorise des déplacements ou pas !) à des individus : même adolescents, ils pensent et vivent toutes leurs contradictions. Les influences dont ils sont tributaires peuvent être plus ou moins prégnantes, il leur faudra tout de même s'assumer, c'est-à-dire affirmer la responsabilité de leurs principes, de leurs convictions, de leurs envies personnelles. Et moi dans cette histoire ? J'assumerai aussi mes responsabilités de professeur, à savoir d'accompagnateur de cette évolution personnelle en rappelant quelque balises, quelques règles nécessaires à la vie en collectivité. Des balises, et non des normes, puisque les normes ne garantissent que l'ordre tandis que les balises peuvent permettre une instabilité nécessaire à un épanouissement personnel, avec un risque calculé de dérive.

Un adolescent ne s'éduque pas à coups d'interdits ou de prescrits : d'ailleurs, un adolescent s'est-il jamais éduqué ainsi ? Être le fruit exclusivement d'obligations, ce n'est jamais être soi-même. Nous sommes un mélange de ce que nous avons intériorisé : nos expériences, nos contestations, nos acceptations restent des réactions partielles et devront avoir collaboré pour nous permettre d'aboutir à ces situations d'équilibre qui, si fragiles soient-elles, sont significatives des personnalités les plus affirmées. Ma conception de mon métier implique donc que je doive gérer, lors de mon métier, ces trois attitudes.

Les expériences, ce sont autant les situations d'apprentissage que les connaissances mises à disposition qui les constituent. Pas de construction de soi sans acquis, sensibles ou intellectuels : l'enjeu du savoir, c'est qu'il est mis à disposition et éventuellement intériorisé jusqu'à être connecté à la vie réelle. Les contestations nous sont nécessaires aussi : tout accepter consisterait à ne plus réfléchir à rien ; tout contester de même . Et puis, contester une idée , c'est déjà l'intérioriser et , pour peu que l'honnêteté nous guide, évaluer autant la référence que l'on refuse que notre personnalité, souvent incohérente, qui la refuse. L'enjeu de la contestation revient à poser nos limites : j'apprécie aussi ce genre de relation quand il n'est pas soumis à l'équivoque ou au malentendu. Enfin, l'acceptation me semble préférable à la soumission : accepter, c'est réfléchir à ce qu'on abandonne dans une logique du contrat. C'est donc également pouvoir évaluer des concessions qui prennent en compte une morale collective, sans préjuger d'une modification des convictions ou des principes. La soumission, elle, n'éduque en rien : elle produit des moutons ou des frustrés, ce qui ne favorise aucune construction personnelle.

En fait, cette triple pratique devraient permettre d'agir et de réagir en société. Evidemment, ce n'est pas un modèle simple : mais qui a dit que la complexité n'était pas le plus joli chemin entre deux points ? Et puis, réfléchir en termes simples équivaudrait à résumer l'individu, à l'enfermer dans un canevas qui ne pourrait jamais être son histoire son personnelle dan le seul but de nous assurer un confort intellectuel très factice.


Le foulard et la manière


Je ne vais pas revenir sur l'annonce de l'interdiction du foulard à l'athénée Andrée Thomas : Mehmet Koksal a déjà réalisé un ensemble de reportages sur ce sujet et plusieurs de ses commentateurs ont fourni leurs réflexions. D'autres se sont tellement emmêlés les pinceaux dans des règlements de compte assez vains que l'on est presque heureux qu'ils n'aient pas eu à parler du sari ou du boubou. Je ne reviendrai pas non plus sur la pétition un peu niaise qui circule sur le net : préconiser une interdiction de signes d'appartenance religieuse aux usagers d'un service public me semble un étrange conception des choses dans un état qui, tout au plus, dispose de textes sur la neutralité des services publics tout en participant à l'un ou l'autre Te deum officiel, corps constitués à l'appui. Je note simplement que le texte n'est arrivé sur mon mail que par l'intermédiaire de quelqu'un qui me connaît assez peu : et même si des copains ont déjà signé (on en causera !), je ne signe, personnellement, jamais des textes imbéciles, sauf les miens.

Non, je ne vais pas revenir sur toutes ces affirmations ou les principes qui prétendent les soutenir. Je vais plutôt rappeler mes positions personnelles sur ce sujet. Un pluriel bien singulier ? Et pour cause : mon opinion a varié au cours du temps. Montaigne aurait évoqué la suspension du jugement : j'ai, pour ma part, dû le dépendre à un moment parce qu'il fallait choisir une manière d'exercer mon boulot et me construire une déontologie. Et puis, je ne suis tout de même pas anarchiste au point de ne plus me rendre de compte à moi-même.

Il y a quelques années, je débarquai du Hainaut pour entrer en fonction dans un athénée de la Communauté française situé dans l'une des riantes communes de Bruxelles. Lors de mon premier jour, je ne disposais que de quelques informations éparses qui, en résumé, me présentaient cet établissement comme la moins pénible des écoles difficiles. Bref, je passe sur le premier contact, la distorsion entre mon physique méditerranéen (on me crut libanais ou brésilien : pourquoi pas suédois ?) et mon nom, et les premières pérégrinations entre les multiples implantations de l'école. Premières classes : élèves sympathiques ou pas, selon la date du retour de vacances mais pratiquement tous aussi "basanés" que moi. Et puis l'objet de toutes les ires actuelles ou des crises ponctuelles qui secouent l'un ou l'autre établissement. Plusieurs élèves portaient le foulard ou le voile : un choc culturel pour moi qui venais d'une école où le cours de religion musulmane n'existait pas et qui avait fait mes études dans une bonne école catholique. Quelques grincements plus tard, à force d'huile de coude et de bonne volonté, on finit par retrouver ses réflexes professionnels : et le prof ressurgit, qui se trouve face à des classes et non face à des groupuscules délocalisés de quelque internationale terroriste, même si certaines de mes demoiselles me semblaient habillées en "ninjas", selon le mot plaisant d'un autre élève. Ceci se passait avant un certain 11 septembre.

Il y avait déjà certains collègues, toujours bien présents, et d'autres qui sont partis ici ou là. Il y avait ce règlement spécifique à une implantation, qui interdisait le foulard, vestige de l'époque communale de cette partie de l'établissement : ce règlement existe toujours et me dérange toujours autant, d'ailleurs. Et puis, il y a eu tous ces petits événements qui font que l'on s'attache à une école : des cérémonies en hommage à des défunts, des fêtes, des excursions épiques, des personnalités attachantes, des engueulades, des malentendus, des tensions, des bamboches. Bref, pas le temps de s'ennuyer.

Il y eut aussi quelques affrontements plus désagréables avec un noyau d'élèves qui désiraient instituer un "ordre moral" alors qu'eux-mêmes ne cessaient de mentir et de s'avérer bien piètres écoliers. Un dessin, mal réalisé, où un charmant bambin songeait à des moyens de me tuer, sans songer toutefois à avoir recours à sa bande, extérieure à l'école : je me fis un plaisir de le lui rendre, en lui rappelant qu'une telle réalisation méritait signature. Et quelques exclusions pour faits disciplinaires ou pour prosélytisme réitéré. En même temps, il y eut aussi le soutien de tous les autres élèves, qui n'aimaient pas ces intégristes, qui n'aimaient pas cet ordre moral venant de médiocres personnages, qui n'aimaient pas ce comportement de voyous : ceci nous confirmant dans notre attitude. Je n'ai revu aucun des quatre élèves concernés et je ne m'en porte pas plus mal...

Et peu à peu, nous en sommes arrivés à fonctionner comme une véritable école, c'est-à-dire à songer davantage en termes pédagogiques qu'en mesures disciplinaires. Notre problème n'a jamais résidé dans une sorte de croisade mystico-religieuse mais bien dans un potentiel de violence de nos "mauvaises" têtes. Et puis la violence s'est muée en turbulence, en comportement, en attitude : jusqu'à en arriver à la possibilité de sortir avec les classes et de recevoir les félicitations de l'un ou l'autre guide pour le tenue de nos élèves. Ce qui n'empêche pas, de temps à autre, une crise ponctuelle et de nécessaires mises au point.

Je ne décris pas ici une histoire idyllique mais simplement un résumé de mes impressions de prof dans cette école difficile où j'ai toujours envie de poursuivre mon métier. C'est sans doute cet ensemble qui m'a confirmé dans mes plus récentes positions.

Il me reste donc à les développer en elles-mêmes.