mercredi, octobre 30, 2013

La fiction intelligente...

Lire de la fiction rendrait intelligent, nous rappelle un article du Vif. Je reste un rien perplexe face à cette nouvelle, tant il me semblait évident que lire une oeuvre de qualité nécessitait une certaine intelligence émotionnelle hors de portée pour les lecteurs de Marc Lévy, Guillaume Musso, Paolo Coelho et autres Gavalda, nos écrivains d'hypermarchés dont la modernité réside dans la pauvreté affligeante du vocabulaire associée à des intrigues tellement stéréotypées que même le pire nanar cinématographique les surpasse par son mauvais goût inventif. 

Lire Bartleby de Melville, un roman de Brautigan ou de Queneau, se plonger dans la science-fiction de l'âge d'or ou dans le roman noir contemporain nous délivre de nos petites compromissions avec notre quotidien. Nous pouvons ainsi nous évader des supposés raisons du petit jour pour nous lancer dans les flamboiements des hypothèses et y retrouver ce bien-être, cette impression de nous retrouver au centre de multiples réalités bien éloignées de ces littératures préfabriquées qui nous promettent une leçon de civisme ou de bonheur. Ne boudons jamais notre plaisir.

 Rêver de l'énigme du Maître en croisant un quidam étrange, dans une Russie lointaine, se perdre dans le Montana de Crumley au milieu des terrils, épargner les oiseaux moqueurs en admirant les déplacements des pigeons : observer notre réalité de manière alternative, en laissant vagabonder notre esprit entre découverte et réminiscence, voilà toute la magie de la fiction, quand elle ne se cantonne pas à du nombrilisme mal maîtrisé ou à des représentations identitaires.  Tout cela nous libère de ces petits résumés bien confortables auxquels nous nous conformons dans nos usages quotidiens : nous en deviendrions presque amoureux des cadeaux que notre réalité nous ménage, par hasard, au détour d'une illusion consentie, d'un bovarysme tranquille en compagnie de cette chère Emma. 

Puisque nous sommes toujours au-delà de nous-mêmes, comme le disait à peu près Montaigne, pourquoi cédons-nous à ces représentations frelatées, issues du conformisme, que nous renvoient les médias de masse et la vie sociale ? La fiction, par son idéalisme qui ose tout, nous immunise face à ces fausses réalités dont les discours prétendument authentiques nous abreuvent d'informations forcément vulgaires et faussement nécessaires. 

Alors, lisons pour vivre (Merci Gustave !) et plongeons dans ces fictions dont la réalité n'est qu'un médiocre substitut (Thank you Oscar !) pour retrouver le rythme de nos propres observations. 


Maxime le Forestier chante Brassens La Maitresse d'école


Opinion, que ne dit-on en ton nom !

Une polémique, en fait une bataille de cour de récré, agite le landerneau scolaire : les cartes blanches se reproduisent à un rythme tel qu'il me faut me plier à l'évidence de leur reproduction sexuée, similaire sans doute à celle de ces quelques lapins égarés en Australie au début de la colonisation. Et je ne parle même pas des commentaires baignant dans la dignité outragée, dans l'expertise de circonstance, dans la brève de comptoir. Mais comme tout ce qui est sexué m'intéresse (je dispose toujours de temps pour le démon de midi)

Tout avait commencé à la fin des vacances d'été par le pamphlet de Frank Andriat : un équivalent du fameux tube de l'été pour les rentrées scolaires. Assez logiquement, ce texte qui me semble relever de cette insignifiance commune aux salles des profs en fin de journée s'attira une réponse inepte de la nouvelle ministre récemment entrée en fonction. Ces postures, typiques du jeu de rôle, m'amènent fréquemment à refuser de prendre position : j'ai suffisamment souffert de la démolition de la représentation de l'enseignant sous un certain ministère, horresco referens, pour à peine sourciller face aux billevesées énoncées par un collègue lointain, assez mauvais écrivain pour être promu en Communauté française, et une ministre étrangère aux affaires... J'avais assez de la rentrée pour estimer que les effets de discours passaient très loin au-dessus de ma petite réalité quotidienne...

Et voici que l'on me gâche encore mes congés, au début pour changer, avec un nouveau conflit des interprétations. Une enseignante, par ailleurs élue d'un parti qui a bien démoli l'enseignement lors de ses multiples législatures, revendique son droit aux congés au nom de la pénibilité de la tâche pédagogique : le stéréotype est loin de m'être inconnu et il m'ennuie toujours autant. Et les réponses de fuser, exclusivement féminines comme me le signalent ma misogynie et mon incapacité à utiliser une comparaison forcément imagée sur une course de spermatozoïdes condamnés à se répandre dans un œsophage complaisant. Les réponses jaillirent donc, d'une journaliste assise sur son opinion, et d'une parente d'élève, tout aussi communicante que la précédente, qui se prévalaient d'une expertise circonstanciée pour attaquer le phénomène des congés scolaires et, surtout, évoquer la pénibilité de leurs boulots respectifs : du haut de leurs maigrelettes carrières professionnelles, de leur haute compétence fondée sur une incapacité à rédiger un texte intéressant et de ce qui transparaît de leurs frustrations, j'ai cru me retrouver dans un album de Brétécher, en beaucoup moins drôle il est vrai.     

Tous ces textes d'opinion, peu fondés et rarement argumentés, prétendent relever de la culture du débat : ils ne sont que de pitoyables actes de communication, davantage fondés sur un contexte que sur une réflexion. Un peu comme ces remises en cause du réchauffement climatique selon la fraîcheur de l'hiver, de l'automne, du printemps ou même de l'été qui, c'est sûr, est voué à ne pas passer l'hiver ! Et comme ces aimables ventilations de préjugés, assénées avec une lourdeur digne d'un tripoux auvergnat, ne me semblent que flatulences mal maîtrisées, je ne puis que conseiller à leurs auteurs une bonne purge commune, pour autant qu'ils s'engagent à ne pas laisser traîner les fruits de leurs piteux efforts sous mes yeux délicats. Bref, que leurs textes cessent de m'emmerder !

J'aime suffisamment mon métier pour ne pas le reconnaître dans les jérémiades de salle des profs, même si parfois je m'y défoule aussi, ou dans les jugements à l'emporte-pièce de ceux qui ont usé leurs fesses à l'école : je ne sacraliserai pas mon métier parce que je n'en ai pas besoin. Mon quotidien me plaît suffisamment pour que je savoure les heures passées en classe, les découvertes qui stimulent ma curiosité intellectuelle ou relationnelle, tout ce qui me fait avancer pas à pas. Et lorsque des circonstances tentent de s'imposer, je les rappelle à l'ordre et les replace là où elles le méritent : en périphérie, très loin, à la mesure de leur importance de quantités négligeables. Je ne ressens pas ce besoin de me constituer un résumé appétissant de ma profession en dénigrant celle d'en face : j'apprécie tout amoureux de son métier qui continue à en chercher la signification exacte, qui accouche de son chef d'oeuvre sans se laisser décourager par de fausses sympathies de collègues qui cherchent dans d'improbables joutes leur propre légitimité ou par des critiques peu avisées dont l'acrimonie ne garantit en rien la pertinence. J'aime prendre un plaisir de saltimbanque à mon métier : le sérieux et la lourdeur en ôteraient tout le charme.

Parce que je suis bien trop corpulent pour me laisser enfermer dans un cadre, parce que je ne serai jamais sage comme une image, parce ce que j'ai bon goût et que je m'aime bien, je persiste et signe : je suis un prof.

  

samedi, octobre 19, 2013

Georges Brassens - ´La ballade des gens...´

Luc Delfosse s'envole ?



Une chronique quelque peu ennuyeuse circule parmi mes amis et relations sur le gentil monde du rêve bleu qui aime tant nos données personnelles. Une chronique du Vif me rappelle toujours avec émotion pourquoi je regrette le Pourquoi pas d'antan et pourquoi j'aimerais que le Batia de Serge Poliart obtienne le succès qu'il mérite : une chronique du Vif me rappelle qu'un chroniqueur-éditorialiste-journaliste ne doit pas perturber le confort de lecture de son public cible afin de ne pas le dissuader de regarder la pub. Et normalement, c'est là que je devrais commencer à perdre quelques amis.

En gros, Luc Delfosse nous rappelle que le racisme, c'est mal, et même abject : il fallait sûrement une chronique pour s'en convaincre. Et de prendre appui sur quelques incidents médiatiques qui ont échauffé les esprits... Sur des déclarations politiques d'importance ? Que nenni, sur des déclarations d'un météorologue, de commentateurs sportifs, d'un président de chambre du commerce : le monde va cesser de tourner ! Rien sur la politique à l'encontre des demandeurs d'asile en notre plat pays, rien sur l'appellation "allochtone" qui se répand depuis longtemps en Flandre et à Bruxelles, rien sur le néo-communautarisme en vogue dans les partis qui part à la pêche électorale des voix des "allochtones", rien sur le regain du nationalisme qui s'épanche bien loin des médias mais s'ancre dans la rue. Non, parlons du temps qu'il fait, du foot et un peu de l'emploi : à la place de Luc Delfosse, je me poserais la question également du contexte de ces phrases souvent idiotes, parfois maladroites, tant elles sont significatives des préoccupations de certains de nos citoyens qui n'ont pas oublié d'être cons. 

Si l'analyse du discours médiatique livrée dans la chronique susnommée (un brin d'érotisme, ce mot m'évoque des plaisirs inavouables !) me semble assez pertinente, elle ne me paraît ni neuve ni complète : peut-être parce que l'exercice de la chronique oblige à se coller à l'actualité, telle une hémorroïde à son orifice de prédilection. Il me semble que Peter Sloterdijk, Michel Serres et même Debray avaient écrit des choses sur le sujet mais comme j'ai la flemme de retrouver la caisse pas encore déballée où devraient se trouver leurs ouvrages, je vous laisse chercher par vous-mêmes. 

Par contre, sa solution me rappelle fâcheusement la novlangue que redoutait Orwell dans 1984 ou les assauts du politiquement correct depuis la fin des années 80, constitutifs d'une langue de bois étrange dont le rapport à la réalité des faits me semble souvent très ténu. Et ce langage alternatif (l'équipe de Sarkozy parlait "d'éléments de langage") me semble aussi responsable de la xénophobie ambiante que le format très limité des nouveaux médias (140 signes pour twitter, est-ce assez pour penser ?) ou que le consensualisme (je néologe ?) des médias traditionnels. S'il faut assurément lutter contre la pensée du slogan, pourtant commune, qui peut établir ce qui reste permis ou ce qui ne le serait pas ? Ni  Luc Delfosse (beaucoup) ni moi (un peu moins quand même) n'avons de solution miracle parce que les mots ne traduisent qu'une partie de la pensée. Mais je persiste à penser qu'on ne gagne pas contre un adversaire en utilisant les stratégies auxquelles il s'attend. 

Terminons par une anecdote de mon quotidien qui, je le sais, intéresse le monde entier. Deux ciccios typiques de ma petite ville (ados italiens en training-baskets-casquette) causent dans le bus de ces "négres qu'on voit partout" et "qu'il y en a de plus en plus" et même "qu'ils sentent pas bon". Je les regarde se préparer à descendre lorsqu'ils tombent sur une dame, noire, qui se prépare à monter avec sa poussette dans le bus. Et ces deux grands dépendeurs d'andouilles de l'aider. Je laisse des lecteurs plus intelligents en tirer des conclusions : quant à moi, cela m'a fait sourire.   



    

Je suis déjà insupportable !


De la presse au plan de communication ?

Il y a déjà quelque temps que je songeais à réactiver ce blog, sans doute par envie de mêler ma voix et mes fadaises aux millions de commentaires, souvent ineptes, sur  ces quelques anecdotes que l'actualité nous livre en pâture. Mes hésitations proviennent sans doute de ce fait souvent oublié : en tant que simple commentateur, je serais seulement appelé à commenter d'autres commentateurs, ce qui m'évoquait avec horreur ce catalogue de bibliothèque de Borges appelé à être inscrit dans un nouveau catalogue...

Pour mon malheur, je me suis remis à parcourir la presse, ce bruit de fond permanent qui nous résume le monde tel que nous devrions le voir en une hiérarchie douteuse. Je ne me suis jamais fait d'illusion sur sa qualité d'objectivité ni sur la constitution d'une presse d'opinion fondée sur la simple honnêteté intellectuelle : les grands médias - même si les nôtres restent à l'échelle de notre pays - restent tributaires de leur financement publicitaire, qui en affecte le contenu rédactionnel. En bref, la presse n'est que de l'info résumée qui se vend à un point tel que je ressens parfois cette étrange impression de parcourir le folder du magasin du coin. Entre prêt à penser et prêt à consommer, il y a sans doute les restes d'une marge qui a dû agoniser quelque part, hormis dans quelques journaux satiriques anciens ou récents. Quant au courrier des lecteurs, transformé en forum de discussion, n'en parlons même pas : chacun y jette sa liberté d'expression à la tête de son voisin en un combat où borborygmes, préjugés et assertions tiennent lieu d'argumentation, comme si chacun se rêvait chroniqueur. L'insignifiance appelle l'insignifiance... 

Pourtant, parfois, je ne puis m'empêcher de sursauter face aux hasards de l'actualité : quand le décès d'Albert Jacquard, à qui je rends un hommage particulier pour son coup de gueule contre l'assaut de l'église Saint-Bernard et contre le ministre de l'intérieur de l'époque, se voit suivi des déclarations pontifiantes de bêtise du ministre de l'intérieur actuel et de l'expulsion d'une gamine, la réalité se rappelle dans toute son intransigeance. Il me revient alors le souvenir d'un certain seuil de tolérance, cette manière très polie de traduire l'adage populiste toujours en vogue : "On ne peut pas accueillir toute la misère du monde"  La contamination est sans doute devenue telle que certains partis sont devenus acceptables, passés de l'extrême droite à la droite extrême, tandis que les autres, supposés démocratiques, envisagent des alliances sans scrupules au nom du réalisme politique... La raison politique ressemble de plus en plus à un effet de discours propre à la communication médiatique, notre nouvelle pensée superstitieuse.

Ne confondons pas imaginaire et irrationnel. L'imagination n'est vraiment dangereuse que si la raison lui apparaît comme une contrainte insupportable; alors, toutes les absurdités deviennent possibles. Notamment lorsque l'imagination est appelée pour suppléer notre impuissance, comme dans le cas des actes superstitieux. Ce n'est pas alors l'imagination qu'il faut incriminer mais le refus du recours simultané à la raison. Albert Jacquard