samedi, janvier 24, 2015

Contre Mons 2015 ?

D'après Yves Vasseur, le directeur de la Fondation 2015, si je résume quelques-unes de ses multiples communiqués entretiens avec la presse, se positionner contre 2015 ce serait refuser l'art, le progrès, le génie (Se prendrait-il modestement pour une lampe, notre lampiste ?), l'accès à la culture, bref une vision d'un avenir enchanteur basée sur l'art et financièrement rentable.



Comment peut-on refuser cet événement majeur et se positionner ainsi contre le vent de l'histoire sans être assimilé à un affreux réactionnaire inculte qui a rangé sa curiosité dans un coin de ses toilettes ? Je le peux, sans problème, si, contrairement à la grande presse institutionnelle, je me base sur les faits, ceux qui transpirent au détour d'un article, ceux que la presse satirique évoque, ceux que je puis constater. 

Nous en sommes à un budget de 70 millions : ce montant a varié au hasard des articles passant ainsi de 64 à 67 millions avant d'atteindre le nombre rondouillard et bien belge de septante, incertitude des chiffres révélatrice de la communication particulièrement opaque sur les coûts de cette opération. De ce budget, le principal pourvoyeur de fonds est la Communauté française (je rappelle à mon lecteur égaré que la Fédération est une appellation promotionnelle qui n'a rien de légal, la Parlement de la CF l'ayant sans doute votée après un apéro un peu arrosé !) qui verse 28,5 millions d'euros (soit plus d'un milliard d'anciens francs belges) au pot commun. La Communauté a donc versé cette somme conséquente, l'équivalent de 57 mille ordinateurs de gamme moyenne à un projet aérien et visionnaire : je ne pensais pas que les consultations chez les voyants avaient à ce point augmenté... Le cher commissaire est ravi, par ailleurs, d'annoncer que l'opération ne coûtera que 3 millions aux Montois... J'ai toujours trouvé admirable, dans notre petit pays morcelé, cette propension à découper les coûts selon les pouvoirs politiques dans la communication institutionnelle tout en oubliant ce fait assez simple : le citoyen paye toujours la note globale. Mais puisqu'il s'agit d'art....


Ah, l'art, la culture et toutes ces sortes de choses ! On a tellement écrit de bêtises sur l'art que mont petit texte ne sera qu'un vague voile d'écume sur l'écume d'une mer à peine ridée par un petit vent frais. Alors, penchons-nous sur l'art au centre de Mons 2015. Des expositions de prestige, clés en mains, comme le fut l'expo Warhol, comme le sera l'expo Van Gogh au Bam : vous savez, des noms qui disent quelque chose à tout le monde en guise d'alibi patrimonial et qui permettent de bien tarifer le billet d'accès. Tiens, jusqu'à l'année passée, l'accès au Bam était gratuit pour les élèves scolarisés à Mons : maintenant, ils sont priés de passer à la caisse par amour de l'art... Patrimonial également, l'éclairage du beffroi, une initiative des plus spectaculaires tant le son et lumière est audacieux et inédit. Patrimoniale également la rénovation de quelques musées locaux avec, étrangement, une sorte d'obsession pour Napoléon : je suppose que dans un siècle ou deux nos descendants pourront s'extasier sur les sculptures d'Arno Breker ou le réalisme socialiste. Patrimoniale enfin l'architecture de Mons : à ce point mise en valeur que des projets immobiliers de grande amplitude s'empressent de modifier la ville en une opération de chirurgie esthétique qui évoque la boucherie industrielle dans ses heures de gloire passée : la gare (oups !), le quartier du Manège (Oups encore !), les grands travaux urbains (Ce fut long mais c'est à peu près en voie de commencer à envisager d'être pratiquement fini prochainement !). Certes, ce n'est pas tout à fait de l'art mais ces projets de prestige ne sont pas financés par Mons 2015, le staff de communication de la Fondation (Bêtise et bénédiction !) pourrait vous le confirmer. Quant au contribuable, il pourra se consoler lors des grandes messes fêtes gratuites que notre patron très romain a ménagé à sa disposition pour l'entretenir davantage sur la culture de la betterave sucrière et du houblon...
Ah, le prestige ! Cette rengaine du Manège lors de ses programmations, pas foncièrement mauvaises mais spécialisées dans le créneau supposé créatif de la postmodernité référentielle parfois trouducultoire à  destination d'un public bobo (Vasseur n'aime pas ce mot, j'en suis baba !), dont l'ingénierie culturelle ne saurait s'atteler à davantage de diversité, ce qui semble être d'ailleurs le gros problème de certains centres culturels wallons. Mais le bobo ne sera plus retenu dans la cage dorée du théâtre du Manège : il pourra enfin s'aventurer dans une rue à sa mesure, entre le Passenger la plaque commémorative en hommage au Passenger et quelques autres initiatives tout aussi stéréotypées mais qui ont l'avantage d'éviter de faire intervenir les artistes montois, sans doute pour se prémunir contre une quelconque accusation très commune de clientélisme. A moins que personne ne connaisse la culture locale, incarnée par le journal satirique El batia mourt sou, ce qui serait une hypothèse étonnante. 

Ah, Mons 2015, ce chef-d'oeuvre d'audace qui aurait dû se trouver à Liège ! 
Ah, Mons 2015, ce projet de futur pensionné qui regardait sûrement Derrick en version originale !
Ah Mons 2015, ce concentré de culture stéréotypée qui rappelle avec émotion les cérémonies d'ouverture des J.O. ou de la coupe du monde !
Ah Mons 2015, ses flyers improbables, ses expos approximatives !
Ah Mons 2015 et ses dépassements budgétaires !

Bienvenue dans la néo-culture de masse, la culture de la société du spectacle...

jeudi, janvier 22, 2015

La grande frousse ?

Il n'aura pas fallu longtemps pour que les conneries s'accumulent. La peur voyage comme ces nuages de pluie : elle moutonne avant d'éclater en averses. Et nos chers médias d'agiter les passoires...

La grammaire médiatique se nourrit de la dramatisation : pas tellement le journaliste, sauf s'il bosse dans l'un de ces tabloïds malsains dont la pitance quotidienne s'incarne dans le fait divers sordide, Il reste quelques journalistes qui n'ont pas égaré leur déontologie : observez votre gazette préférée pour constater s'ils ont encore voix au chapitre. La dramatisation, c'est le repas de ceux qui veulent donner absolument leur opinion. Ils sont multitude, tous ces cuistres qui mesurent les événements selon les coudées franches de leurs pensées moites.  

Chroniqueurs de circonstance, politiciens en maraude, experts pointilleux en chimères, spécialistes de la billevesée même pas drôle, présentateurs d'excuses, hommes-troncs, femmes assertives, dévideurs de carabistouilles, lecteurs partisans : je redoute parfois que notre pauvre monde subisse son ultime catastrophe et que notre malheureux descendant, ou quelque extraterrestre  de passage, tombe sur un exemplaire de notre belle presse de cette dernière semaine. Il pensera sans doute que nous avions des moeurs ridicules, à moins qu'il ne s'imagine un sens de l'humour particulièrement développé. 

Le charognard médiatique, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère (Et ta soeur ?) répercute la peur de proximité. Il craint tout : la pollution, le tabac (Je persiste à fumer), la maladie, la peur de la maladie, les barbus, les foulards, les dessins, les papillotes, les cheveux courts, les cheveux longs, la calvitie, les emmerdes et surtout, la peur. Il craint sa propre peur à tel point que, plutôt que de chercher des solutions ou des responsabilités à un problème, il cherche des coupables. Et la nécessaire solidarité d'une société viable de s'effondrer sous le poids des terreurs diurnes...

 J'avoue que je ne suis pas insensible à ce climat : je redoute surtout nos propres dérives. Je n'aime pas que les militaires soient jugés indispensables dans nos rues, parce que je pense que la police est, au plus, parfois nécessaire. J'ai horreur de voir ces experts, de comptoir, de studio ou d'officine, préconiser de supposés remèdes qui passent, forcément, par une mise en accusation de notre mode de vie et de notre envie irresponsable de liberté. Je crains surtout de voir les adolescents à qui il m'arrive de donner cours se complaire dans ce dolorisme d'époque, dans cette mentalité d'expiation entretenue par des nostalgiques qui enjolivent - comportement commun - leurs souvenirs révisionnistes en une sorte de mélopée traditionnelle, typique du conservateur engoncé. 

Nous pourrions imaginer que la redoutable vague d'autocensure qui sévit dans notre petite contrée cesse enfin. Si nous ne retrouvons pas ce courage en nous, ayons au moins le courage de rendre hommage à toutes les victimes des sinistres criminels qui se revendiquent d'une pompeuse idéologie pour glorifier leurs minables exactions. Pouvons-nous rester confits dans nos peurs quand on massacre au Nigéria, quand on tue en Arménie, quand le viol reste une stratégie de guerre et quand le dommage collatéral relativise, dans nos démocraties, le prix d'une vie lointaine ? 






dimanche, janvier 11, 2015

Même pas morts !

Depuis quelques années, je ne lisais plus Charlie-Hebdo que très sporadiquement . A la lassitude engendrée par le prêt à penser de Philippe Val, qui avait fini par déteindre sur la rédaction, succéda l'écoeurement de l'affaire Siné Clearstream : c'est avec peine que je voyais ce journal, qui fut mon enchantement durant tant d'années, se perdre dans une posture moraliste bas de gamme tout en s'affichant irresponsable. L'indifférence était la solution. Et pourtant...



Et pourtant, depuis mercredi, je ne cesse de penser aux victimes de cet attentat, à chacune d'entre elles pour ce qu'elle incarne dans notre démocratie, tous ces gens qui étaient là parce qu'ils faisaient leur boulot quotidien, avec le courage et l'acharnement de ceux qui savent ce qu'ils doivent faire. Qu'ils soient journalistes, caricaturistes, policiers, technicien, correcteur, chroniqueurs, ils nous représentent tous dans notre persistance à vivre dans notre liberté de démocrates. Les victimes du terrorisme nous montrent toujours leur dignité, par contraste avec leurs lâches assassins. Si le terrorisme vise à instiller la peur, il peut échouer lamentablement quand le quotidien reprend le dessus, quand chacun continue les petits combats bien modestes qu'il menait au quotidien. 



Il y aura de nombreux hommages dans les prochains jours, certains douteux, d'autres plus réconfortants. Le monde politique, les médias traditionnels, les représentants des cultes se précipitent, y compris dans leurs tendances très droitières, pour affirmer leur soutien de circonstance : et nous avons l'impression d'assister au spectacle pitoyable de ces condoléances dites à haute voix pour masquer le manque de conviction. De simples quidams ou les dessinateurs de presse me semblent beaucoup plus courageux : eux osent s'interroger sur l'impact réel de ce massacre tout en témoignant leur sympathie pour les victimes, eux ne se lancent pas dans une quête au symbole mais agissent face à une réalité qui les attriste. Et leurs réactions vont sans doute avoir beaucoup plus d'impact que les effets de manche de ceux qui évoquent la démocratie alors qu'ils la détournent au jour le jour. 

    
C'est sûrement pour cette raison que je regrette Charlie-Hebdo : nos malentendus, mes préventions, mon indifférence me peinent particulièrement depuis quelques jours. Mais je regretterai surtout de ne plus pouvoir enguirlander certains des dessinateurs morts ce mercredi : les réactions de leurs collègues me rappellent à quel point ils étaient sincères, les hommages de circonstance me font regretter qu'ils ne soient plus à nos côtés dans les combats qui s'annoncent.



Merci à tous de ce rappel au combat !

Ubu persiste et signe !