lundi, septembre 28, 2015

C'est beau parce que c'est inutile ?

Je n'aime pas "Décrocher la lune", cet "opéra urbain" qui sévit sur ma pauvre ville tous les trois ans depuis que Franco Dragone l'a lancé et estampillé comme sa création. Je n'aime pas cette conception de la culture obligatoire (Merci, Achille !) qui prévaut ces temps-ci dans ma région et dont Mons 2015 s'avère une avanie majeure. 

Les défenseurs de ces projets développent souvent leurs arguments autour des mêmes éléments de langage, comme on dit dans la communication : vitrine, tourisme culturel, populaire sont devenus leur credo. La recherche d'une culture rentable s'intensifie ainsi : une logique institutionnelle qui n'étonne même plus lorsque la chaîne publique francophone elle-même se targue de produire "The Voice", un concept ( autre mot à la mode) qui réactualise le radio-crochet. 

Ce type de spectacle de masse, éminemment médiatique, semble influer sur le spectacle vivant, lui infligeant les blessures mortelles de ses scories. La création culturelle doit être une vitrine : elle doit mettre en avant ce qui n'est aucunement lié à une quelconque tradition culturelle locale et se doit d'attirer un public cible auquel on rappellera les mesures de confort du tourisme de masse qui sont proposées, elles, localement. Ce tourisme devra se trouver des alibis culturels, issus des stéréotypes en vigueur, de sorte que les pouvoirs locaux nient son impact sur la politique culturelle au nom de la douteuse idéalisation de leurs objectifs. Le spectacle sera populaire et intentionnellement gratuit tant pour en vanter le succès que pour donner l'illusion de l'accès pour tous à la culture. Ce type de spectacle n'est rien de plus que de la stratégie publicitaire, qui rappelle la star stratégie défendue par Séguéla. On a les références vaguement culturelles que l'on peut, le tout étant d'y faire croire. 

Franco Dragone, qui se donne des airs d'assistant social chaque fois qu'il sort des casinos de Las Vegas ou Macao, a mis en scène des spectacles idéalement calibrés pour les lieux où ils devaient se produire : les casinos. Le but de ces derniers me semble évident : faire oublier à la clientèle le temps et l'argent perdu ainsi que la conforter dans son choix de prestige par la simple technique du produit d'appel. Le lecteur de ce billet pourra tester les mêmes stratégies dans sa grande surface commerciale préférée : la musique y est intentionnellement complaisante, la performance incite au consumérisme, les couleurs y singent les palettes artistiques. 

Mais que veut donc nous faire oublier cette ingénierie culturelle ?
  
Que la culture n'a pas vocation à être utile en soi : si certains objets culturels furent fonctionnels, surtout en architecture et en aménagement intérieur, la plupart des productions culturelles n'ont pas concurrencé les productions artisanales d'époque, lesquelles pouvaient être à la fois esthétiques et fonctionnelles. Bref, amalgamer les orientations de l'art et de l'artisanat, c'est tenter de faire oublier ce que la production de masse a inexorablement détruit. Les objets culturels deviennent ainsi des simulacres chargés, comme le divertissement de base, de faire oublier le conformisme social auquel nous contraint notre système économique. 

Que travestir la culture en spectacle de masse, c'est permettre à la foule de s'admirer le nombril et de s'intégrer à la quantité, sans aucun souci de qualité. Je sais, la hiérarchie des goûts que je défends me fera passer pour un affreux réactionnaire (Merci pour le compliment !) mais je ne me souviens pas que la culture des masses ait jamais produit autre chose que des outils de régulation sociale (Et pourtant, Woodstock...). Puisque les groupes de grande taille tendent à déresponsabiliser les individus, la masse se voudrait une traduction d'une idée, fière de son nombre plutôt que de son intelligence. Et c'est ainsi que l'on développe une culture, microbienne cette fois, de la résignation. 

Que l'appropriation culturelle est transgressive : elle n'est pas qu'un choix parmi les offres répétées des divers médias. Nous pouvons disposer d'une culture universelle si nous osons quitter les ornières tracées par les discours de masse. Même certaines institutions osent transgresser quand leurs faibles moyens le leur permettent. Quant aux individus, s'ils ne cèdent pas à leurs réflexes de confort, ils peuvent s'aventurer sur les chemins de traverse et s'intéresser, enfin, à ce qui n'est pas eux mais tout autre, loin des automatismes pavloviens. 

Quant à moi, j'ai attendu le lendemain pour regarder la lune, la vraie : elle s'offrait sans que me prenne la prétention de la décrocher.  




NB : Une "réponse" aux méchant critiques a été publiée par le coadministrateur-délégué de l’ASBL DLL en réaction aux critiques forcément injustes ou fausses. Ouf, je ne me trompais pas. Toi aussi, recherche les mots vitrine, participative, retombées, ateliers citoyens, gratis dans le petit texte de M. Neus.