dimanche, mars 30, 2008

Sexe Machin

N'est-il pas avisé d'évoquer le sexe lorsque l'on écrit des texticules ? Je viens d'achever la lecture d'un petit bouquin d'Edouard Launet, intitulé Sexe Machin, un hommage relatif à James Brown et aux scientifiques qui doivent l'écouter très sérieusement le matin en analysant leur café tout en rédigeant un rapport circonstancié de leurs activités nocturnes.

Etude des stimuli, caractérisations comportementales, erreurs d'aiguillages ou même résonance magnétique d'un accouplement, encore plus fort que la copulation de Vinci (ci-dessus) : les anecdotes abondent et mettent davantage en perspective certains délires scientifiques plutôt que des idées reçues sur le sexe. Il en va ainsi d'une étude sérieuse, forcément, sur la corrélation entre les fluctuations en bourse et la longueur des mini-jupes : j'éviterai de pousser plus loin mes propres commentaires, puisque j'ai tendance à juger, selon ma propre expérience, que les obstacles insidieux se multiplient sur les trottoirs lorsque de jolies jambes se dévoilent enfin après leur hibernation forcée. Je dois avoir l'esprit scientifique.

Plus sérieusement, si j'ose le penser, je viens aussi d'achever un guide publié par Charlie-Hebdo, à la suite de prises de position sur l'amendement Mariani, et intitulé L'ADN expliqué à Sarkozy, moins réjouissant que l'ouvrage d'Edouard Launet : j'avoue que je reste perplexe sur l'utilisation du fichage en matière de criminalité, puisque l'on justifie par l'existence d'une technoscience une pratique culturelle, quitte à en revenir au déterminisme très en vogue au dix-neuvième siècle où phrénologie et physiognomonie étaient censés indiquer le comportement d'un individu. il est toujours intéressant de voir comment la fiction s'inspire de la réalité, comme dans le réalisme et le naturalisme : il est par contre redoutable de voir la réalité reconstruite comme une fiction dans le discours politique ou économique.

Je ne vais pas rappeler la citation de Rabelais à propos de la science : si elle est connue de presque tous, force est de constater qu'elle n'est plus qu'une référence vaguement scolaire. Le monde judiciaire connaissait déjà le danger de l'expertise, sujette aux erreurs et aux interprétations : son extension inconséquente à tous les domaines de notre vie sociale requiert certainement notre vigilance, faute de quoi nous devrions constater notre incapacité à utiliser avec intelligence les outils auxquels notre créativité nous a permis d'accéder.

A quoi servirait-il de détruire les chapelles s'il nous faut toujours construire de nouveaux temples ? Le lecteur avisé comprendra que je préfère les études sur la longueur des mini-jupes : l'absence de nécessité est à la source du plaisir.


jeudi, mars 27, 2008

Ma petite radio ne connaît pas la crise

Je vous ai placé trois nouveaux morceaux dans ma petite radio, juste dans la colonne de droite : je me demande d'ailleurs pourquoi je le précise, à moins que ce ne soit par ce pur plaisir d'imaginer certains d'entre vous cherchant, par esprit de contradiction, une colonne de gauche qui est, précisément, celle que vous êtes en train de lire, à cette réserve près de ceux qui me liraient en faisant le poirier, ce que je déconseille fortement, sauf aux antipodes.

Bref, je vous ai placé deux extraits d'un album d'Ute Lemper, ce qui me permet de vous rappeler que j'aurais, à l'époque, volontiers pratiqué le contre Ute (voir photo), puisque cet album date de plus de vingt ans : les deux chansons, intitulées Mes deux amants et Peur, me restaient en mémoire comme des souvenirs agréables, ce que leur écoute confirme. J'avoue d'ailleurs que malgré les frimas hivernaux de ce début de printemps, le rouge me monte aux joues et que sous la robe dignitaire du professeur se cache... je ne vous raconterai pas, par simple décence. Et puis, je ne vais pas piquer les répliques de Pierre Desproges.

Autre morceau, une reprise du standard Sint James Infirmary par Lou Rawls : un superbe blues que la voix de Chicago amplifie à merveille. Evidemment, les connaisseurs préfèreront sans doute l'original d'Armstrong mais il faut aussi apprécier le jazz dans ses adaptations, puisqu'elles sont sa substance même.

Bonne écoute.


mercredi, mars 26, 2008

Les loges de la bêtise ?

Je m'étais promis de ne plus vous parler de Flaubert. Et puis, en me gratouillant la bedaine sans élégance, certes, mais devant un café brûlant, je n'ai pu m'empêcher de jeter un regard consterné sur un articulet d'un journal numérique à fort tirage : sans doute pour allumer les feux virtuels de nos passions mortes ?

En résumé, un papa horrifié d'un collège catholique huppé a découvert avec horreur que son bambin lisait, à l'instigation de son professeur de français, le roman La nuit des enfants rois de Bernard Lenteric. L'horreur ne résidait pas dans la découverte que son fils fréquentait un collège catholique, ce que je pourrais comprendre pour avoir partagé cette même expérience, mais plutôt dans les scènes de sexe et de viol présentes dans ce roman et dans un autre.

Il se fait que j'ai lu ce roman lors de mon adolescence : je ne l'avais pas aimé, non pas pour les raisons oiseuses du papa catholique ou pour les supposées perversités du roman qu'y trouve un inénarrable psychologue, qui plus est écrivain réputé mais pas de moi, ce qui doit expliquer pas mal de choses. Simplement, ce n'est pas la crudité des scènes violentes qui m'avait choqué, puisque je conçois que décrire la violence n'est pas en faire l'apologue et parce qu'au fond j'aime la littérature à l'estomac : non, j'étais juste agacé par ce style rapide, prétendument à l'américaine alors qu'il y avait tellement mieux chez les Américains, justement ; l'exaspération me guettait lorsqu'une fin heureuse de pacotille mit fin à ce qui ne serait resté qu'un roman noir mineur, agréable mais vite lu. J'ai donc été étonné des bonnes réactions trouvées ici et à son propos.

Ce n'est donc pas un bon roman, selon moi, que je vais défendre contre l'imbécillité coutumière qui tient lieu de réflexion à nos parents contondants, nos psychologues fumistes, nos journalistes en mal de copie à qui je pourrais prêter les miennes à corriger. C'est une liberté, de tout lire d'abord, d'enseigner ensuite, même si je ne connais pas le collègue incriminé.

Lorsque je lis, je ne cherche pas nécessairement ce qui pourrait choquer mes élèves : je voudrais simplement leur proposer des oeuvres qui ne soient pas fades et qui ne ressassent pas, à l'image de ces mauvais romans pour adolescents, les aventures de jeunes gens auxquels ils pourraient s'identifier, mais qui proposent l'évasion et aiguisent leurs sensations. Surtout, je voudrais leur permettre de se construire un goût de lecteur, leur donner envie de défendre jusqu'à la mauvaise foi ce qu'ils ont aimé, leur faire savourer le plaisir de démolir ce qui les a déçus ou ennuyés. Je me vois mal y parvenir avec des oeuvrettes consensuelles, même s'il faut parfois se détendre : en fait, à y bien réfléchir, je voudrais que mes élèves se créent un espace propre à l'évasion, un refuge, une île de saveurs dans ce monde en demi-teinte de notre quotidien. Il est vrai que je ne cède pas à l'irresponsabilité de leur faire lire n'importe quoi, la Bible (Onan, Pépère Noé, Moïse et son fiston, Sodome et Gomorrhe : et dire qu'il y en a qui se repaissent de ce genre de littérature tous les dimanches, quand ce n'est pas au catéchisme...) ou les ouvrages de Freud (dont la majorité se passe aux cabinets : une carrière de proctologue raté ?) ou encore les annales de Lacan, auprès duquel l'almanach Vermot n'est qu'une plaisanterie. Non, je leur fais lire des livres, y compris des livres voués aux gémonies (encore une belle invention !) comme Lajja de Taslima Nasreen ou Lolita de Nabokov, ne fût-ce que parce qu'il est toujours possible de s'arrêter de lire un livre, d'y réagir, contrairement à l'horreur quotidienne de l'actualité. Je leur fais lire aussi des livres parce que le lecteur peut respirer l'insoutenable sans s'y asphyxier. Je leur fais toujours lire des livres parce qu'ils nous imposent des défis.

Mais pourquoi donner cette lecture à de si jeunes enfants ? Il est vrai que la question de la maturité se pose : je ne donnerais pas n'importe quel roman en lecture commune et sans doute pas à n'importe quel âge. Je prends mes responsabilités à cet égard, même si je constate qu'il est impossible d'échapper au risque ; je me souviens de scènes de films choquantes, de l'attrait du carré blanc de mon adolescence ; je me souviens d'avoir regardé, encore enfant, des tragédies shakespeariennes (sous-titrées, qui plus est !) ; je me souviens de jeux d'enfants qui tournaient à la bagarre : je pense y avoir survécu suffisamment pour écrire ce persiflage face à la sinistre bêtise. Sans doute ai-je la chance de ne pas avoir dû refouler ma violence naturelle, qui d'ailleurs ressort quelquefois faire sa petite promenade mais sans séquelles, et d'avoir pu m'assumer. Il est vrai que ce n'est pas l'école qui m'a donné cette chance mais mes parents : ils étaient attentifs à ce que je lisais sans me contraindre autrement.

Il est vrai aussi que je ne suis ni un papa catholique ni un psychologue réputé : je n'ai donc pas d'oeillères dont me parer.



mardi, mars 25, 2008

J'en reste bouche bée...

J'avoue qu'il est difficile de rester un provocateur : si quelques sujets continuent à obtenir leur petit succès, tels que la mort ou les enfants en général - quant à la mort des enfants, je ne vous raconte pas, surtout avec les procès qui ne cessent de se succéder -, j'avoue qu'il m'est difficile de rester un humoriste à la petite semaine, surtout que je ne poste mes petits textes au mieux qu'une fois par mois.

Et puis, il y a la concurrence redoutable : le marché le plus compétitif ne serait-il pas celui de la connerie transcendante, celle qui vous ferait presque croire en Dieu si une opportune cirrhose de la foi n'entravait cette crédulité grâce aux accents salvateurs d'un alcool fort servi frappé ? Enfin, pour l'alcool, je rassure mes lecteurs, je n'appartiens pas aux alcooliques anonymes : d'abord, j'étais reconnu ; ensuite, je n'ai pas eu le mauvais goût de renoncer à l'un ou l'autre excès ponctuel, même si je ne me prends plus pour un batelier de la Volga sur les trottoirs d'Ixelles, expérience mystique due à une démarche plutôt chaloupée. Fi de ce cabotage éthylique, revenons à nos cabotins de l'opinion sur rue.

Lorsque je vois ce que j'entends, je me dis que je suis content de penser à tout autre chose : même si d'aventure je ne pensais à rien, le néant me semble préférable à ces leaders d'opinion qui en groupe, en cortège ou en procession se mettent à dévider leurs souverains poncifs. Les forums s'abreuvent des petites phrases, bien anodines, de tel ou tel auxquelles répondent les sentences bêtasses du quidam de service et ses généralisations intrusives autant qu'abusives. Et les préjugés, préformatés et vendus à la douzaine, de se répandre, un peu comme mon café lors des petits matins blêmes.

Non, je ne citerai pas de noms : il m'arrive de fréquenter les mêmes lieux communs et, si mon physique me prémunit d'un quelconque face à face, le nombre et le sérieux de ces prétentieux individus m'assureraient une défaite certaine. Devrais-je entamer, comme cet écrivain que j'aime encore, malgré l'outrecuidance dont il fit preuve en mourant bien avant ma naissance, un dictionnaire des idées reçues où Monsieur Untel verra un filtre alors que l'ami Gustave lui tendait un miroir ? Je ne m'en sens ni la force ni la volonté : et puis, j'ai peur d'échanger des idées avec certains et de me retrouver avec cette fichue peur du vide qui me lancine, tel le militant qui se rend compte qu'il ne peut plus, sans se casser la gueule, s'incliner sur le fil des acrobaties verbales de ses orateurs anciennement préférés qui, par leurs discours et leur prétendu bon sens, éradiquent leurs idéaux en s'en gargarisant.

Nous sommes entrés dans l'ère du verbeux pathologique : des monceaux de paroles nous guettent au coin de la rue. Les conversations ne sont plus sûres : entre les dénonciateurs du politiquement correct et les franchisés de la pensée eunuque, l'individu se retrouve toujours à devoir contester sans jamais affirmer. Pire encore, il croit qu'il pense, le naïf, parce qu'il n'est pas d'accord avec tout le monde : il ne lui reste plus qu'à trouver un accord avec lui-même, à se foutre du monde à tort et à travers, à déchirer le rideau de fumée des idées creuses et clinquantes par la seule arme de distraction massive qui lui reste : la dérision.