mardi, août 26, 2008

Suis-je un Sinéphile ?

Le désoeuvrement et la persistance de nos chers frimas estivaux, que le monde entier nous envie, m'ont amené à me pencher sur l'affaire Siné et sur ses débordements : il est vrai qu'un carnet du ouaibe peut se permettre de délirer sur des crises de principe, tant il serait délicat et inopportun de gloser sur les morts réels, ce que je laisse aux pisse-copies en mal de reconnaissance, aux mateurs d'accidents autoroutiers et aux éditorialistes spécialisés dans les romanquêtes.

Je ne vais pas vous faire la chronologie des événements : ce serait déjà prendre position quoique, je l'avoue, mon opinion soit faite. Je vous laisse lire le récapitulatif des faits réalisés par Télérama ou encore par Noël Godin, l'entarteur bien connu. Pour résumer et à destination de mes lecteurs les plus flemmards, Siné a rédigé une chronique qui a fait mousser certains journalistes qui le taxèrent d'antisémitisme parce qu'il relayait la rumeur à propos de la conversion au judaïsme de Jean Sarkozy, ce qui amena une éviction par son directeur de publication, le grandissime Philippe Val. Ce dernier rédigea un texte qui avait au moins l'avantage d'être bref dans le Charlie suivant, en appendice d'un éditorial éclairant, à défaut d'être lumineux, sur la politesse : au vu de réactions nombreuses, il nous asséna en outre un nouvel éditorial finement intitulé "Antisinétisme" dans un Charlie où l'on pouvait encore lire les réactions pantoises de Cavanna et de Charb. Siné, lui, devait paraître dans le Nouvel Obs en ligne et sur un blog personnel pour lui répondre, au nom sans doute du droit de réponse différé, et même délocalisé dans ce cas. Dernier épisode en date : la Licra assignait à comparaître Siné devant un tribunal de Lyon.

Vous avez pu constater que je vous ai laissé disposer de liens de tendances diverses, même si une légitime pudeur m'a fait oublier l'époustouflant article de BHL, les commentaires avisés de certains journaleux, la pétition des 20 intellectuels qui soutiennent Philippe Val et la pétition des treize mille et quelques individus, dont moi, qui soutiennent Siné. Je passerai également sur l'initiative Un dessin par jour pour Siné : elle prouverait simplement que si le talent a disparu de Charlie-Hebdo, le dessin de presse peut encore vivre ailleurs. Oups : aurais-je transgressé les bienséances du Siècle des Lumières en m'avisant de laisser filtrer quelque opinion sur cette affaire ? Que mes amis lecteurs, mes semblables et mes frères, ne m'accablent pas sous les reproches en me dénonçant au Grand Timonier de Charlie-Hebdo : je me crois bien capable de succomber aux assauts de ce gazetier de génie, moi qui ne suis qu'un lampiste.

Je l'avoue : il y a longtemps que je suis devenu un lecteur sporadique de Charlie-Hebdo tant les éditoriaux de Val, les articles de Caroline Fourest, les chroniques de Cavanna m'affligeaient par leur insignifiance. Chaque fois que je lisais un texte de Val, j'en venais à le confondre avec une de mes copies à corriger et je songeais à un commentaire très professoral qui, tout en reconnaissant les qualités de construction et le respect des apparences rhétoriques, ne pourrait que mettre en évidence l'académisme de la réflexion et le dénigrement systématique de toute opposition. Que Philippe Val et moi ne nous entendions pas sur des idées communes était plutôt fait pour me rassurer : au fond, lire un texte de Val me permettait de me sentir intelligent, plus que lui en tout cas, tout en lui cédant le pas pour la vanité et la suffisance... Mais à chaque numéro de Charlie-Hebdo, il faudrait se demander qui devrait encore le quitter suite à un désaccord : la liste devenait un peu trop conséquente à mon goût pour un canard dont le directeur de publication revendiquait le droit à la liberté d'expression, sans doute à sens unique. Ce qui ne laissait pas de m'étonner pour un journal que je pensais libertaire...

Cette antipathie à l'égard de Philippe Val me rend méfiant : je crains de délirer parfois comme les rédacteurs d'Acrimed qui poursuivent leurs obsessions parfois très malsaines. Je n'adore pas non plus les règlements de compte personnels qui semblent animer certains, même si leurs attaques semblent viser assez juste. Mais je n'aime pas non plus les regroupements corporatistes ou communautaires que semble révéler cette affaire. Quand je parcours les articles de Joffrin, Askolovitch et les autres, j'ai l'impression de voir les journaleux jouer la stratégie écoeurante de la victimisation. Quand je lis Philippe Val se plaindre que pas un journaliste non juif ne le soutient, j'ai l'impression que le délire communautariste devient contagieux et s'autorise tous les dérapages. Je crains aussi pour la liberté d'expression qui, à mon sens, ne doit épargner aucun comportement sous l'un ou l'autre prétexte : cela aboutirait à juger selon des catégories plutôt que selon la réalité des faits. Cela aboutirait aussi à banaliser les propos réellement racistes parce qu'ils seraient camouflés dans le lot d'accusations délirantes, comme celle de la LICRA qui assigne Siné pour avoir qualifié des comportements. Cela finirait surtout par châtrer les mots pour pallier l'impuissance face aux faits : on ne lutte pas contre les discriminations en jetant un voile pudique sur les mots qui l'expriment. Et il n'y a pas de domaine réservé dans la langue : la seule nécessité morale réside dans l'intelligence de la situation à laquelle celui qui doit s'exprimer se retrouve confronté. Ceci me semble être la seule garantie de liberté critique à maintenir, sous peine de voir des gens pleins de bonnes intentions, comme certains de ceux qui soutiennent Val, créer une dictature des communautés qui ne résoudrait assurément rien.

En défendant Siné, qui est un peu primaire me dit-on, je ne défends pas qu'un principe : je prends également position pour ma liberté de m'exprimer et de penser, puisque nous pensons aussi par des mots. J'assume également ma liberté de me moquer, parce que la satire, la caricature, l'ironie sont des réflexes vitaux dans une démocratie : elles sont l'expression du refus d'une quelconque dictature politique, économique ou médiatique.

Et puis, j'en ai ma claque de ces donneurs de leçon, qui me semblent faire l'article comme des colporteurs qui voudraient me placer au bon format : je suis encore capable de penser par moi-même, d'apprécier mes erreurs, de qualifier ma pertinence, d'assumer mon impertinence et mon goût pour la dérision, de refuser de penser en noir et blanc, de modérer mes propos.

Comme d'autres quidams, je soutiens Siné : à vous de voir si vous voulez agir de même !



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