mardi, mars 17, 2015

L'école des parents, où l'enseignant se demande s'il n'offrirait pas son portrait pour décorer le salon familial...

Note liminaire
Cet article n'évoquera pas de cas précis récent : je me refuse à partager sur ce blog quoi que ce soit qui mette mal à l'aise élèves et parents de l'actuelle génération. Le lecteur excusera donc certaines généralités que je n'illustrerai pas par des exemples.

La ministre Milquet a fait sortir de presse il y a quelque temps un guide à destination des parents, "Comment mieux connaître l'école et s'y impliquer ?", entérinant ainsi le glissement progressif de l'enseignement vers l'éducation, du moins en théorie.

Parents et Ecole ont pour mission commune de réussir l’éducation des jeunes. Les parents d’élèves sont ainsi membres à part entière de la communauté éducative. Le partenariat entre les enseignants et l’ensemble des acteurs du monde scolaire et l’implication des parents dans l’école sont des gages de réussite pour l’enfant. Ce guide a été rédigé pour vous afin que vous soyez plus conscients de vos droits et possibilités de participation dans le monde de l’école et que vous trouviez les informations nécessaires à la compréhension de l’organisation de l’école et du rôle de tous les acteurs.

Pourquoi ai-je donc l'impression d'une communication électorale qui s'appuie sur le lexique propre aux relations commerciales ? "Partenariat", "droits" et "participation" sont des vecteurs communs des campagnes commerciales : le monde politique aurait-il à ce point régressé, au point de renier ses propres responsabilités dans ce vocabulaire de l'amalgame ?  Il est vrai que les marchés de l'enfance et de l'adolescence ont significativement explosé tandis que le monde politique attribuait l'enseignement à un niveau de pouvoir tributaire de tous les autres. Je rappelle au lecteur égaré dans le système fédéral belge que la Communauté française (seule appellation légale de la FWB) ne peut lever aucun impôt. La succursale est donc captive de ses maisons-mères et entretient les biais cognitifs de sa clientèle ses usagers pour sauver son image.
Il est par conséquent logique de feindre de rassurer le consommateur d'école, en lui faisant oublier qu'il est aussi électeur et en lui permettant de s'immiscer dans le travail de professionnels ou supposés tels (Là aussi, il y aurait matière à réflexion). Au risque de détruire le fonctionnement de l'école et ses objectifs ? C'est à craindre : cette analyse est d'ailleurs partagé dans un excellent article de synthèse de la revue Sciences humaines.

Certains développements récents ont prouvé le caractère nuisible de l'intrusion d'une minorité, certes, vagissante de parents. Je rappellerai, pour mémoire, la tentative de censure des lectures par la ministre Simonet, en réaction aux plaintes de parents relayées par le Délégué général aux droits de l'enfant. Là réside notre premier gros problème : dans les conflits d'expertise du trop vaste monde de l'éducation, il y a toujours un expert disponible, qui n'a même pas à se soucier de crédibilité scientifique ou de mesure d'impact puisque le marché reste toujours conséquent. Plusieurs de ces prétendus experts ont malheureusement prouvé l'inconséquence, pour ne pas dire l'inconsistance, de leurs avis, au mépris du cadre scolaire qui est tout de même supposé fonctionner dans l'intérêt de l'enfant. Que les parents, aidés de ces mercenaires de l'éducation, s'en prennent à l'école quand elle fonctionne plutôt bien rend pathétique des actions nécessitées par de réels dysfonctionnements beaucoup plus réels.  Vous souvenez-vous des actions de Marie-France Botte ? Sauvez-nous de l'expertise. Et sauvez les adolescents des diagnostics comportementaux médicalisés...
Le parent expert, qui est parfois enseignant, est déjà une catastrophe en soi : s'il utilise son expertise dans un contexte conflictuel, il procédera forcément à l'éviction de tout ce qui interfère dans le conflit, oubliant ainsi que la réalité de son gosse ne se réduit pas au simple résumé d'une idée mais qu'elle consiste en un ensemble d'hypothèses complexes. Le parent expert pense avoir tout compris dans une optique hyper-spécialisée : il oublie que le chercheur se méfie en priorité des résultats qui semblent confirmer sa thèse de départ, il oublie surtout que son point de vue est forcément déformé par son affection. Il est vrai que la diversité des caractères de profs est une réalité complexe qui n'est accessible qu'aux adolescents qui la vivent. Finalement, le parent expert agit comme le prof qui néglige ses élèves en sacralisant sa matière : l'enfant devient ainsi un instrument ou un enjeu, plus un objectif. L'action récente à l'encontre des cours philosophiques me semble de ce type, puisque l'impact collectif réel a été négligé au profit d'un supposé gain.

Le parent affectif, lui, pose un problème de distorsion des principes de l'école. Il est normal d'aimer ses enfants mais faut-il pour autant projeter ce type de relation dans n'importe quel contexte ? Je conçois qu'il s'agisse d'un numéro d'équilibriste : je trouve aussi que certains de mes élèves sont attachants, ce qui ne doit pas m'amener à transgresser les obligations de ma fonction. Quant l'affection se transforme en désespoir dans le contexte de l'échec scolaire, nous aboutissons à une réelle dramatisation de ce qui n'est qu'un constat de travail. Il est vrai que la pédagogie fumiste des compétences semble sanctionner le fonctionnement même de l'individu au-delà de l'élève mais il reste loisible au parent affectif de se rappeler, simplement, qu'un échec peut arriver suite à un ensemble de circonstances et qu'il n'y a pas nécessairement de coupable, qu'il s'agisse du prof ou de son enfant, d'ailleurs. Et que l'école est supposée être une histoire de professionnels...

Le parent dictateur instrumentalise son enfant comme intermédiaire de son pouvoir. Généralement actif dans les associations de parents, son but est avant tout de plier ce qui l'entoure à ses obsessions. Là encore, le monde politique, qui partage certaines valeurs avec lui, lui propose quelques instruments d'intrusion, dont il tente d'abuser, négligeant l'impact désastreux de ses actions sur les organes dont il détourne les missions. Il s'approprie les conseils de participation, les réunions de parents ou même ses enfants au nom des privilèges que son optique clientéliste exige. Et l'école de laisser faire, avec la lâcheté entretenue par les chaînes institutionnelles de la responsabilité relative. Pouvons-nous imaginer les ravages d'une éducation fondée sur une telle pauvreté d'intention et sur les expédients de la manipulation ? Regardez attentivement les partis politiques : ils préfigurent l'école de demain.

Le parent absent ou l'indifférent : nous le voyons peu ou pas, ce qui n'est pas nécessairement un problème si son môme va bien. Par contre, il est fréquent que les adolescents (je ne veux même pas songer aux jeunes enfants dans ce cas...) recherchent un supplétif dans son monde scolaire. J'ai pris l'habitude depuis longtemps de m'intéresser aux bulletins de mes élèves, parce qu'il me semble que l'enseignant ne doit pas résumer les individus auxquels il fait face à la seule matière qu'il prodigue. Un adolescent a besoin d'être encadré, aimé ou enguirlandé : c'est un truisme, c'est loin d'être une évidence. Notre époque semble, dans un bégaiement de l'histoire, renouer avec le manque d'empathie collective. J'avoue que pour moi, simple prof, il est difficile de digérer qu'un parent continue à se décharger de son gosse auprès de professionnels sous le prétexte qu'il aurait encore à se constituer son propre bonheur à lui. L'absence de prise de responsabilité ou la facilité au désengagement, sous toutes ses formes, deviennent dans les faits un tribut dont l'école ne peut s'acquitter sans se perdre.

J'ai sûrement négligé nombre de cas de figures dysfonctionnelles lors de ce rapide coup d'oeil D'abord, les parents qui se portent bien et dont l'influence apaise les enfants : même leur faillibilité ne pose pas de réels problèmes, puisqu'ils s'attellent continûment à la recherche de solution. Avec ceux-ci, les malentendus ne durent pas longtemps et ne se transforment pas en conflits. Ensuite, je n'ai pas abordé les cas psychologiques graves : même s'il transparaît en filigrane dans le parent dictateur, le parent abusif me semble relever davantage de la médecine que du simple travers comportemental. Enfin, je pourrais adresser les mêmes critiques au monde enseignant (J'ai bien dit que je me fâchais avec tout le monde !) puisque ces mêmes travers y sont tout aussi significatifs et que, nous les professeurs, sommes partie prenante de la société. Mais je me permets d'espérer que la diversité des enseignants auxquels sera confronté un adolescent atténuera en conséquence l'impact de chacun et que la distance affective que permet notre fonction nous permettra de rester des "passeurs" plus que des mentors et de ne pas subir, comme nos jeunes gens, la prégnance du cordon ombilical en permanence. Les adolescents vivent autre chose que leur vie familiale à l'école et c'est tant mieux : je refuserai toujours à ce que les enjeux de l'école soient subordonnés au matriarcat ou au patriarcat. L'école devrait rester une institution démocratique indépendante de la sphère familiale pour atteindre ses objectifs. Encore faudrait-il que le monde politique, entre deux échéances électorales, cessent de l'utiliser pour séduire l'électeur...

Développerai-je les problèmes engendrés par les enseignants eux-mêmes ? Il me semble que je l'ai déjà fait assez souvent et une nouvelle synthèse réclamerait  de pouvoir prendre une certaine distance critique et ensuite d'en avoir envie : nous attendrons donc la réalisation de ces deux conditions avant de donner une conclusion à cette série d'articulets.








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