mercredi, octobre 18, 2006

Un âne peut bêler ?



Je ne devrais pas lire la presse de grand matin, surtout quand le matin commence aussi tôt et quand un article idiot trouble le plaisir de mon premier café de la journée.

Un Chantre quelconque vient donc me pousser une aubade sous mon balcon : j'ai bien l'impression qu'il va se prendre un petit pot sur la tête, tant j'ai parfois la maladresse d'une certaine inélégance quand un fêtard saoul de ses propres obsessions vient m'emmerder avec ses chansons de corps de garde.

L'enseignement, selon ce quidam (rentier ? expert ? diva d'opéra ?) ne fonctionnerait pas parce qu'il ne serait pas soumis à la compétition. Et celui de l'école européenne montrerait le bon exemple, comme l'immersion, comme l'enseignement néo-zélandais, comme l'école martienne d'Uranus (qui n'est plus une planète depuis peu, et cela n'est pas très correct, non ?). Bref, cette pensée fondée sur des comparaisons approximatives me sidère un rien. Pour ma part, je ne connais que le fonctionnement des écoles européennes : suffisamment pour me laisser perplexe et sceptique sur la portée des affirmations sur les bienfaits d'un enseignement sélectif et en immersion, à moins qu'il ne se restreigne à un groupe sociologiquement très déterminé et éloigné de la réalité quotidienne.

Par contre, nous revoici (ou là, selon notre degré de myopie) face au fameux enjeu de l'enseignement : la course à l'emploi. Et notre chantre de dégager un remède en transformant le parent (et l'élève) en client forcément soucieux de la rentabilité de son investissement... En résumé, il faudrait que le parent (et l'élève) devienne consommateur d'enseignement afin d'avoir accès à un enseignement de qualité.

C'est à ce moment-là que j'ai dû avaler de travers : après avoir dû m'excuser auprès de mon café et de mon moniteur des mauvais traitements que je leur infligeais, je repris la lecture de la dernière blague de ce quelconque penseur de comptoir qui osais, ô le cuistre, venir me saloper mon zinc avec ses idioties.

L'enseignement n'est pas qu'un espace de formation : idéalement, il devrait être autre chose, une sorte de no man's land où l'élève apprend à se construire ses propres références, avec ou contre ses professeurs, parce qu'apprendre a contrario fonctionne aussi. L'adolescent peut aussi commencer à prendre ses distances vis-à-vis des références de ses parents, ce qui est nécessaire à la résolution du conflit des générations, et à se forger une personnalité, une méthode, des bases. L'enseignement devrait donc être un espace privilégié où se crée l'autonomie de l'individu.

Et cela coince souvent. Hormis les problèmes de fonctionnement de l'enseignement public, certes bien réels, il y a comme un léger problème de mentalité. Si la démocratie exige un respect des lois sur un mode contractuel, qu'en est-il de la fameuse course à l'emploi ? Combien de métiers exigent la soumission de l'employé ou même du simple candidat ? Quel travail nous permet de prouver notre autonomie ou notre intelligence ? Je me demande vraiment ce qu'il faut penser ce cet esprit d'époque qui impose le travail comme valeur absolue, alors que ce dernier n'est qu'un moyen de vivre, un éventuel échange de bons procédés avec une société dans laquelle, jusqu'à preuve du contraire, je vis toujours ma vie privée, qui entend bien le rester. Comme tout un chacun, je travaille parce que j'y suis obligé, même si je peux prendre un plaisir personnel à exercer mon métier : je ne travaille pas pour faire plaisir à mon employeur qui, de toutes façons, s'en fout, pour autant que ses exigences très formelles soient respectées.

La fille adolescente d'une amie m'avait sorti, il y a quelque temps, une phrase de son professeur de math :"Il faut étudier jusqu'à ce que ça fasse mal !" J'avais alors vitupéré contre ce dolorisme expiatoire qui confond l'apprentissage et la souffrance, comme si appartenir à un corps social exigeait la mutilation de son propre plaisir. C'est ce type de mentalité, qui résume l'individu à son aspect utilitaire, qui détruit notre organisme social : puisqu'une société où l'on délimite l'école à ses acquis utilitaires est vouée à l'échec, puisque refuser l'initiative et les goûts, même négatifs, de l'élève aboutit à la création d'une norme beaucoup plus forte que celle toute relative qu'impose la collectivité à travers l'enseignement public.

L'enseignement public ne va pas bien : c'est un fait. Globalement, il crée de plus en plus d'insatisfactions, voire des frustrations en masse. Peut-être parce que nous vivons dans une mentalité qui transige avec ses valeurs, jusqu'à les résumer à une étiquette vide, à un catalogue de prix sans finalité. Et ce n'est certes pas le monde politique qui nous écartera de cette perspective utilitariste, avec ses idéologies bradées au prétexte d'un pragmatisme de circonstance.

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