En fait, nous apprécions souvent un débat médiatisé selon l'équilibre du temps de parole : la matière est d'ailleurs légiférée en démocratie. Ainsi, chacun dispose pour son plaidoyer d'un temps de parole équilibré, qu'il en use pour de quelconques invectives, d'anodines imprécations ou des raisonnements tronqués. Il arrive aussi que les invectives soient savoureuses, les imprécations choisies et les raisonnements imparables : en général, le débat aura alors porté sur la conservation de la particule, celle que je préfère, dans les partouzes berrichonnes ou encore sur les incidences de l'arthrite du genou dans les prédictions météorologiques depuis douze siècles.
Bref, plus le sujet est ardu et supposé ennuyeux, plus son temps de traitement sera limité : il ne faudrait perdre ni spectateur ni auditeur. Pire encore, la culture du débat s'abreuve de brièveté, de sorte que se retrouvent sur un même plan, en un acouplement étrange, idées, raisonnements, croyances et superstitions : et le stéréotype de s'abreuver de cette force de l'instant, puisqu'il met autant de temps à être dit qu'à être compris.
Pierre Bourdieu, la paix soit sur son style parfois lourdingue, avait déjà noté les problèmes de ce fameux équilibre du temps de parole suite à son passage dans l'émission de Daniel Schneidermann : il s'était senti piégé par le manque d'équilibre du plateau et par le manque de temps face à la tâche d'expliquer des notions complexes. Pierre Carles réalisa d'ailleurs un commentaire ravageur et partisan sur cette affaire, non sans mettre en valeur une proposition inquiétante : lutter contre un monopole supposé des uns par un contre-monopole des autres. Une position qui aboutit sans doute à cet observatoire des médias qui prône parfois un tel radicalisme, au nom de son parti pris, qu'il en devient caricatural.
Pourtant, pour moi qui balance entre une multitude de positions, un peu comme le Kamasoutriste ante coïtum, la question de fond continue à se poser. Nous vénérons les discours formatés : slogans publicitaires ou politiques (les seconds ne sont-ils plus qu'une expression particulière des premiers ?), musique prédécoupée, codes chiffrés, apocopes ou aphérèses, haïkus cuculs et autres oeuvrettes littéraires qui font les délices de la ménagerie des moins de cinquante. Notons que si les plus de cinquante n'y cèdent pas, c'est faute d'une mémoire vive suffisante. Notons aussi que, même si je balance entre deux âges, je n'ai aucune raison de me ménagerer l'antipathie des générations suivantes et précédentes : puisque je suis un con de mon âge, je leur adresse à toutes un message.
Les discours ne nous plaisent que lorsqu'ils sont brefs : leur charme aurait pu me séduire s'ils s'étaient démarqués de toute autorité et s'ils supposaient des systèmes de référence multiples. Pourtant, entre les clichés médiatiques et ceux de la contestation qui pète plus haut que son cul, j'avoue une identique peplexité, de celle qui saisit la tranche de jambon (ou de salami à l'ail) entre les deux pans de son sandwich : ne manquerait-il pas quelque assaisonnement à ces petits formats dont la crédibilité n'est assurée que par le ressassement ?
Et quelqu'un aurait-il des recettes de sandwiches sans pain ?
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