Il y a des flics bien singuliers. Louis Lépine, le créateur du concours bien connu, fut un personnage marquant, un préfet de police bien plus que les poulets en batterie que la fadeur du petit écran nous livre sans cesse. Et lorsque j'évoque ces volailles intrigantes, ne me prêtez pas une quelconque intention de médire : à l'heure où des Napoléon-le-Petit de pacotille semblent confondre leurs fantasmes sécuritaires avec la réalité quotidienne de leurs concitoyens, au fond, les policiers de feuilleton nous assurent au moins la fin programmée de leurs aventures.
Louis Lépine fut donc un flic, disais-je donc avant de m'interrompre lors d'une de ces digressions qui font mon charme, avec mes yeux tombants et mon embonpoint, mais ces deux dernières caractéristiques passent mal à l'écrit. Louis Lépine fut, répéterai-je donc, préfet de police de Paris vers 1893. Il eut à surveiller, à cette époque, un abominable délinquant, alcoolique et syphilitique au dernier degré, rendu à moitié fou par l'absinthe : un personnage complètement cinglé qui animait de ses scandales le quartier latin. Et Monsieur Lépine ordonna à ses flics de foutre la paix à cette graine de racaille, à ce trublion aimé des étudiants, à ce boutefeu, à ce semi-clochard. Le scandaleux personnage s'appelait Verlaine, un de mes quatre poètes préférés de ce siècle-là, celui que la police belge arrêta vingt ans plus tôt suite à un coup de feu tiré sur Rimbaud. Monsieur Louis Lépine aimait suffisamment la poésie pour oublier un moment qu'il était flic : un tel personnage méritait bien un hommage.
J'ai parfois la nostalgie des périodes que je n'aurais pas pu connaître : sans doute les anecdotes que l'histoire nous fait parvenir sont-elles plus savoureuses que ces miasmes de l'actualité qui nous livrent leurs personnages protéiformes, insipides et, à mon goût, infréquentables. J'ignore si c'est leur personnalité ou leur adaptation aux médias qui en est la cause mais il n'y a plus de Verlaine qu'aux petits pieds, attendant dans un quelconque rap de circonstance de gueuler ses revendications d'autant plus fort qu'elles sont insignifiantes, et il n'y a plus de Louis Lépine, amoureux de la poésie autant que fonctionnaire modèle.
Notre époque ne connaît que les candidats qui tronquent les statistiques ou qui ont des problèmes de logement : actuellement, pourtant, ce serait Louis Lépine qui serait accusé de faute grave tandis que son ministre pourrait arrêter opportunément un écrivain, dont le passé n'est certes pas dénué d'ambiguïté, mais qui a cessé tout activisme politique depuis plus de vingt-cinq ans.
Un ami, professeur dans le Brabant, s'est vu reprocher par des parents, de leur faire lire de la pornographie : ceci ne vous rappelle-t-il pas les cris d'orfraie sur certains textes que l'on faisait lire à nos têtes blondes ? Pire encore, à cause de son enseignement, il avait développé l'esprit critique de l'un de ses élèves qui, horreur, n'avait plus la même opinion que papa. Apprenez-leur la soumission, nous ordonnent les girouettes de gauche ou de droite, ces commanditaires de sondages qui cherchent à atteindre leur seuil d'incompétence, lorsqu'ils ne l'ont pas déjà dépassé. Nous vivons de plus en plus sous la férule de ces sinistres crétins, dont la prédominance cultive l'affectation jusque dans leur prise permanente de température rectale. Je suis certain que Verlaine leur aurait dégoisé ses poèmes avec un rire de sale gosse : et je pense que Monsieur Louis Lépine aurait applaudi.
Parce que la poésie est une liberté, parce que je prends plaisir à emmerder les cons - bien que moi-même parfois, lorsque mon intelligence s'éveille en sursaut, je me demande si je n'en suis pas devenu un, ou du moins un con promis - , parce qu'il n'y a pas de raison de s'arrêter de penser, je crois bien que je voterai Verlaine ou Lépine : le fait qu'ils ne se présenteront pas est sans importance.
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