
Je ne vais pas revenir sur l'annonce de l'interdiction du foulard à l'athénée Andrée Thomas : M
ehmet Koksal a déjà réalisé un ensemble de reportages sur ce sujet et plusieurs de ses commentateurs ont fourni leurs réflexions. D'autres se sont tellement emmêlés les pinceaux dans des règlements de compte assez vains que l'on est presque heureux qu'ils n'aient pas eu à parler du
sari ou du
boubou. Je ne reviendrai pas non plus sur
la pétition un peu niaise qui circule sur le net : préconiser une interdiction de signes d'appartenance religieuse aux usagers d'un service public me semble un étrange conception des choses dans un état qui, tout au plus, dispose de textes sur la neutralité des services publics tout en participant à l'un ou l'autre Te deum officiel, corps constitués à l'appui. Je note simplement que le texte n'est arrivé sur mon mail que par l'intermédiaire de quelqu'un qui me connaît assez peu : et même si des copains ont déjà signé (on en causera !), je ne signe, personnellement, jamais des textes imbéciles, sauf les miens.
Non, je ne vais pas revenir sur toutes ces affirmations ou les principes qui prétendent les soutenir. Je vais plutôt rappeler mes positions personnelles sur ce sujet. Un pluriel bien singulier ? Et pour cause : mon opinion a varié au cours du temps. Montaigne aurait évoqué la suspension du jugement : j'ai, pour ma part, dû le dépendre à un moment parce qu'il fallait choisir une manière d'exercer mon boulot et me construire une déontologie. Et puis, je ne suis tout de même pas anarchiste au point de ne plus me rendre de compte à moi-même.
Il y a quelques années, je débarquai du Hainaut pour entrer en fonction dans un athénée de la Communauté française situé dans l'une des
riantes communes de Bruxelles. Lors de mon premier jour, je ne disposais que de quelques informations éparses qui, en résumé, me présentaient cet établissement comme l
a moins pénible des écoles difficiles. Bref, je passe sur le premier contact, la distorsion entre mon physique méditerranéen (on me crut libanais ou brésilien : pourquoi pas suédois ?) et mon nom, et les premières pérégrinations entre les multiples implantations de l'école. Premières classes : élèves sympathiques ou pas, selon la date du retour de vacances mais pratiquement tous aussi "basanés" que moi. Et puis l'objet de toutes les ires actuelles ou des crises ponctuelles qui secouent l'un ou l'autre établissement. Plusieurs élèves portaient le foulard ou le voile : un choc culturel pour moi qui venais d'une école où le cours de religion musulmane n'existait pas et qui avait fait mes études dans une
bonne école catholique. Quelques grincements plus tard, à force d'huile de coude et de bonne volonté, on finit par retrouver ses réflexes professionnels : et le prof ressurgit, qui se trouve face à des classes et non face à des groupuscules délocalisés de quelque internationale terroriste, même si certaines de mes demoiselles me semblaient habillées en "ninjas", selon le mot plaisant d'un autre élève. Ceci se passait avant un certain 11 septembre.
Il y avait déjà certains collègues, toujours bien présents, et d'autres qui sont partis ici ou là. Il y avait ce règlement spécifique à une implantation, qui interdisait le foulard, vestige de l'époque communale de cette partie de l'établissement : ce règlement existe toujours et me dérange toujours autant, d'ailleurs. Et puis, il y a eu tous ces petits événements qui font que l'on s'attache à une école : des cérémonies en hommage à des défunts, des fêtes, des excursions épiques, des personnalités attachantes, des engueulades, des malentendus, des tensions, des bamboches. Bref, pas le temps de s'ennuyer.
Il y eut aussi quelques affrontements plus désagréables avec un noyau d'élèves qui désiraient instituer un "ordre moral" alors qu'eux-mêmes ne cessaient de mentir et de s'avérer bien piètres écoliers. Un dessin, mal réalisé, où un
charmant bambin songeait à des moyens de me tuer, sans songer toutefois à avoir recours à sa bande, extérieure à l'école : je me fis un plaisir de le lui rendre, en lui rappelant qu'une telle réalisation méritait signature. Et quelques exclusions pour faits disciplinaires ou pour prosélytisme réitéré. En même temps, il y eut aussi le soutien de tous les autres élèves, qui n'aimaient pas ces intégristes, qui n'aimaient pas cet ordre moral venant de médiocres personnages, qui n'aimaient pas ce comportement de voyous : ceci nous confirmant dans notre attitude. Je n'ai revu aucun des quatre élèves concernés et je ne m'en porte pas plus mal...
Et peu à peu, nous en sommes arrivés à fonctionner comme une véritable école, c'est-à-dire à songer davantage en termes pédagogiques qu'en mesures disciplinaires. Notre problème n'a jamais résidé dans une sorte de croisade mystico-religieuse mais bien dans un potentiel de violence de nos "mauvaises" têtes. Et puis la violence s'est muée en turbulence, en comportement, en attitude : jusqu'à en arriver à la possibilité de sortir avec les classes et de recevoir les félicitations de l'un ou l'autre guide pour le tenue de nos élèves. Ce qui n'empêche pas, de temps à autre, une crise ponctuelle et de nécessaires mises au point.
Je ne décris pas ici une histoire idyllique mais simplement un résumé de mes impressions de prof dans cette école
difficile où j'ai toujours envie de poursuivre mon métier. C'est sans doute cet ensemble qui m'a confirmé dans mes plus récentes positions.
Il me reste donc à les développer en elles-mêmes.