jeudi, juin 07, 2007

le foulard et la manière : fin.

Passons à la pratique, maintenant.

L'école peut faire peur : aux parents, surtout lorsqu'eux-mêmes pratiquent peu la langue d'enseignement et se retrouvent en situation de hiatus culturel ; aux élèves quand le dialogue est inexistant ou se résume à des confrontations permanentes avec les autres élèves ou avec les enseignants ; aux enseignants, lorsque le système déraille ou lorsque les élèves ont décidé de ne plus assumer cette fonction. Mais faut-il pour autant sanctuariser un établissement scolaire à tous niveaux ?

Je n'en suis pas convaincu. S'il me semble nécessaire, comme prof, de prémunir autant que possible un établissement de la violence, par exemple, ou des incursions prosélytes, il ne me semble pas opportun de rejeter a priori un code vestimentaire, quels qu'en soient les motivations : une école qui s'affirme ne peut vivre repliée sur elle-même. Et un respect mutuel peut s'instituer si les élèves acceptent de concéder, c'est-à-dire de discuter de ce qui serait extrême, pour marquer leur acceptation et si les professeurs acceptent de concevoir leurs élèves sans s'attarder sur ce qui reste périphérique.

On peut concevoir une école sans training, sans casquette (références obligent !) et sans prison de toile : c'est rappeler à l'intelligence de la situation. Par contre, interdire ce qui pourrait sembler constitutif de sa personnalité, pour l'élève, pose un réel problème. Le vêtement a toujours été une tentative d'appropriation de sa personnalité sociale : rejeter signifie porter un jugement. Encore faut-il le fonder sur des motifs légitimes, liés à une situation évaluée avec pragmatisme, et ne pas se référer à une doctrine, puisqu'on n'éduque pas à coups de doctrines.

C'est sans doute là ce qui me dérange le plus, dans cette querelle épisodique du foulard à l'école. C'est certainement un problème mais défini souvent de la plus pitoyable des manières puisqu'il est rarement fait place à l'éducation dans ces querelles. L'éducation est une double triangulation : nous l'avons conçue à l'intersection de l'élève, de l'école et des parents et à la croisée de l'acceptation, de la contestation et de l'expérience. Interdire un code vestimentaire, c'est nier l'existence d'un ou deux partenaires de l'éducation : osera-t-on alors encore se plaindre de l'absence des parents, du décrochage scolaire des élèves dans un établissement où le dialogue n'est plus envisagé ? Par ailleurs, comment assister une quelconque construction personnelle si l'on exclut l'élève du champ de l'expérience et qu'on le place dans la situation de se soumettre ou de partir ? Ce n'est plus de l'enseignement, ceci ressemble à "La doctrine enseignée à ma fille" que véhiculent certains ouvrages douteux : et l'on ne parle plus d'éducation mais de camps en présence, comme si une école avait besoin de relayer et de cristalliser des conflits qui lui sont externes.

Par ailleurs, au nom de quelle déontologie irais-je juger de l'intimité de mes élèves ? Ils peuvent être homos, hétéros, cathos, écolos, socialos, libéraux, religieux, athées, agnostiques, musulmans, juifs, orthodoxes, bouddhistes ou ce qu'ils veulent : je n'ai pas à les déterminer parce que je ne vivrai pas leur vie. Je peux juste espérer qu'ils auront une personnalité équilibrée qui leur évitera les tentations extrémistes. Je peux juste espérer qu'ils auront pu savourer mes petits cours littéraires et mes petites approches philosophiques, qu'ils accorderont à ceux qu'ils croiseront les mêmes libertés dont ils auront disposé, qu'ils seront contents d'être ce qu'ils sont. Leur personnalité sera de toutes façons ce qu'ils en feront : ma sympathie leur est déjà acquise s'ils savent ce qu'ils choisissent et je revendiquerai toujours la liberté de ce choix-là.

Je suis fier d'être enseignant parce que je suis fier de mes élèves : ce sont des individus. Je refuserai toujours le climat de honte que certains désirent leur imposer, que ce soit au nom de leur extrémisme religieux ou de leurs convictions. Je n'ai pas le temps de m'occuper de ces professionnels de la peur, de ces concepteurs de paranoïas de supermarché : j'ai école.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans les écoles catholiques, le foulard est toléré. Donc, c'est un faux problème. Par contre, les cours d'éducation physique et natation destinés aux filles sont un vrai casse-tête pour les profs concernés. Comment faire appliquer les règles aux élèves non musulmans, alors que les élèves de tradition musulmane invoquent leur religion pour refuser toute conformité au programme de la Communauté française en ce domaine ?
Cela semande réflexion...
Bien à toi.
Rhadamanthe.

Ubu a dit…

Cher Rhadamanthe,
Dans les écoles catholiques, le cours de religion catholique est obligatoire : un peu surréaliste d'imaginer un cours sur Jésus à des gamines voilées, non ? ;)
Pour les cours de gym et de natation, effectivement, c'est un problème : la plupart des élèves acceptent d'ôter le foulard, pour des raisons de sécurité et d'hygiène ; quant à la piscine, les profs essaient de s'arranger en fonction des semaines. Restent les exceptions couvertes par certificats de complaisance ou les règles hebdomadaires ;))

A bientôt, amigo ;)

Henri a dit…

sans casquette fieu, ok mais sans training, ça va pas la tête ? c'est le signal que j'peux devenir président ça fieu !