Les élèves du primaire (deuxième et cinquième année, donc 7 et 10 ans) sont soumis à une évaluation externe non certificative (Ouf, jargon pédagogique, quand tu nous tiens !). Au-delà des aléas de l'exercice en lui-même, un soupçon de polémique est né du côté de certaines directions à propos de deux textes censés inspirer un exercice de rédaction aux bambins ainsi examinés. Entre parenthèses, on ne m'ôtera pas de l'idée que certains de ces pédagogues, à vouloir tout examiner, ont dû faire subir des avanies inqualifiables aux mouchettes de leur petite enfance.
En bref, ces enseignants reprochent au texte de Nicolas Ancion son vocabulaire un peu cru : ils n'ont pas dû entendre les propos de leurs potaches en cour de récré, ne doivent plus s'amuser à la ronde des jurons , ne doivent plus croire en la créativité d'une langue qu'ils voudraient peut-être châtrer de ses inventions , fussent-elles peu conformes à la norme. Pour Bernard Friot, qu'il soit damné jusqu'à la huitième génération, tant qu'à faire ! Il a osé porter l'opprobre contre le corps enseignant en imaginant une maîtresse d'école coiffée intentionnellement d'un pot de fleur. N'est-ce pas inconvenant, ma brave dame, de rappeler la violence scolaire lors d'une épreuve ministérielle ? Et puis, l'actualité s'est emmêlée, au point, je le suppose, que ces mêmes enseignants conscients de leur mission morale ont dû interdire à leurs potaches de regarder ou de lire quelque journal que ce soit : ils auraient pu croire que l'école est sujette à la violence.
Malheureusement, elle ne l'est pas franchement plus que n'importe quelle institution : comment ainsi qualifier les propos d'un édile qui incrimine, tenant ainsi ses pires promesses avec une persistance que l'on n'oserait qualifier d'entêtement, tant il était certain que la bêtise poujadiste lui irait comme un gant ? Comment qualifier aussi cette société qui a peur d'avoir peur, au point de n'oser affronter les phénomènes qui la perturbent, qui identifie la violence comme si elle lui était étrangère alors même que nombre de nos comportements prouvent notre prédisposition aux pires extrémités ?
Comment également qualifier des responsables, pédagogues ou politiques, qui camouflent la réalité au profit de ce qu'ils croient ? J'ai tendance à trouver l'illusion saumâtre lorsque l'illusionniste croit à ses artifices. Je ne suis pas là, en classe ou dans cette société, pour interdire ou pour morigéner, bref pour soustraire à la vue de tous tout en culpabilisant une quelconque attitude. Et puis, j'avoue être exaspéré de ce discours lancinant qui ne cesse d'identifier les sources de la violence du côté de la fiction de crainte d'avoir à en affronter les réalités.
Il aurait fallu interdire George Grosz : il dénonçait les dictatures en peignant leur violence. Il faudrait interdire Ancion et Friot : leur langage, leurs idées sont en deçà de nos violences quotidiennes. Il faudrait interdire la misère et peut-être les Misérables : parce que parfois l'école montre que notre société se mue en prison et crée de redoutables cages intérieures où parfois des individus se perdent.
Rien ne légitimera jamais une agression : sa lâcheté est, selon moi, sans équivoque. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que ces attitudes d'humiliation, de soumission, de destruction ne relèvent plus d'aimables fictions, si commodes à vilipender, mais bien de notre comportement commun.
Au nom de quel pragmatisme douteux avons-nous abandonné nos utopies ?