dimanche, septembre 07, 2008

Le Vif aurait-il un coup de mou ?

Une collègue m'avait fait part du numéro spécial du Vif belge qui évoquait l'Islam et l'école. Je l'achetai donc et, malgré le titre qui envahissait la couverture, je le lus, je le pense, comme un lecteur qui n'a pas encore été anémié par les discours devrait le faire : partisan dans mes opinions, objectif avec les faits. Sans doute n'est ce pas ce que Le Vif attend de ses lecteurs...

J'ai eu le plaisir, lors de mes pérégrinations sur le ouaibe, de tomber sur un article de l'excellent blog The Mole, où j'ai laissé un commentaire dont je vous livre la substance.

Si je devais en croire Le Vif, je risquerais donc ma peau à chaque heure de cours puisque je suis dans un école en discrimination positive et que j'ai le gros défaut d'y être athée ;-)
Si nous avons, mes collègues et moi, connu des incidents semblables à ceux qui sont relatés dans le dossier, nous n'avons jamais cédé aux pressions de quelques énergumènes extrémistes qui voulaient exercer leur prosélytisme sur les autres élèves et nous nous en sommes occupés comme des enseignants doivent le faire : c'est-à-dire en traitant avec intransigeance le problème pour ce qu'il était, à savoir un problème de comportement, au grand soulagement des autres élèves à l'époque. Dois-je préciser que ces prosélytes de choc étaient une infime minorité, d'ailleurs rejetée par des élèves sans doute tout aussi croyants (il m'est difficile d'en juger puisque cela ne fait pas partie de mes bases d'évaluation) et que nos élèves nous respectent parce que nous respectons les règles que nous affichons dès le départ ? Un incident reste, grâce à cela, un incident. Il est vrai que l'exercice est délicat, en ces temps de communautarisation des discours, mais il est clairement balisé, pour une fois, par le décret sur la neutralité de l'enseignement qui s'applique dans mon réseau.

En bref, mes collègues peuvent sans problème travailler avec leurs élèves sur l'évolution ou sur le Big Bang dans le cadre scientifique requis, je peux travailler avec mes élèves sur les diverses philosophies que peut envisager un cours de français : il y a parfois débat (tant mieux) sur des valeurs mais il n'y a pas obstruction ou pression morale. Même constat pour les réunions de parents...

Par contre, des dérives sont à craindre à nouveau si le sensationnalisme, cet argument de vente de bas étage, crée une image à laquelle certains gosses finiraient par se référer, par bravade ou en désespoir de cause. Il faudrait sans doute aussi agir contre les "sectes" islamistes qui exercent leurs pressions dans certaines familles (un cas récent de mariage forcé l'a encore prouvé) ou contre cette nébuleuse extrémiste qui grenouille ici ou là mais je ne pense pas que stigmatiser un "certain type" de population scolaire en lui attribuant des références que majoritairement elle refuse soit une solution intelligente. Mais sans doute n'ai-je pas les hauteurs de vue d'une rédactrice en chef ?

J'assume bien entendu cet avis et j'en partage bien d'autres sur ce même post, mais je me permettrai d'ajouter une idée bien modeste - les plus chères ayant quitté ma pauvre caboche depuis bien longtemps - : ce n'est pas par altruisme profond que je réagis à ce genre de duperie intellectuelle, c'est également pour moi. C'est la société dans laquelle je m'inscris que l'on configure ainsi, plus ou moins consciemment : et je déteste ce communautarisme que l'on veut me dessiner à tout crin, parce qu'il davantage commerçant de dramatiser la réalité. C'est un peu comme si les conflits, bien réels ceux-là, manquaient à notre appétit, comme s'il fallait nous créer des occasions d'être délicieusement malheureux afin de nous repaître de tout ce qui pourrait nous faire oublier ces malheurs supposés et ce désespoir, cette peur bien réels.

Nous cédons tous à nos phobies, comme si l'aveuglement volontaire excusait toute illusion et comme si nous ne pouvions nous sentir vivre que dans un délicieux catastrophisme monté de toutes pièces, où nous identifierions les bons et les méchants en toute simplicité, au détriment de nos capacités à réellement agir et réfléchir. Nous nous mentons donc.

Je l'ai dit, je suis un vrai pessimiste, ce qui ne m'empêche pas de bouger encore : sans doute pour me distancier de tous ces gens heureux, confits dans leurs certitudes et leurs saintes trouilles, fussent-elles laïques d'ailleurs. Je reste pessimiste parce que je suis certain de n'aboutir à aucune certitude, parce que je sens que je ne vais pas tout comprendre, parce que les questions m'importent davantage que des réponses artificielles. Je suis pessimiste parce que je suis entêté, comme les faits dont je suis témoin ou acteur ; je suis pessimiste parce que je pense que réfléchir reste une nécessité.

Je suis pessimiste parce que j'espère trop souvent me tromper et que cela ne se produit pas assez souvent.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
J'ai dû, pour mon métier, dépanner des machines en Mauritanie. Je n'y ai rencontré qu'un japonais qui portait une cravate comme moi...
La plupart des expatriés essaient d'emporter un bout de leur terre natale.
Je suis certain que tu aimes partager le pesto selon les recettes de tes aïeux... ;)
Les Flamands parlent d' "inburgering", c'est à dire se conformer aux us et coutumes du pays d'accueil.
Imposer sa langue, sa culture, sa religion, ses errements ne mène à rien d'autre que braquer les gens.
Faire comprendre qu'il faut s'adapter afin de s'intégrer harmonieusement à son nouveau pays est un processus lent et l'école peut y contribuer... mais il faut la fréquenter!
Puisque tu aimes les citations, en voici une qui ne reflète pas tout à fait mon opinion sur le sujet (tu sais que j'aime te titiller)...
"L'homme naît barbare, il ne se rachète de la condition des bêtes que par la culture; plus il est cultivé, plus il devient homme." (Balthasar Gracian.)
Amitiés

Ubu a dit…

Cher Armand,
Je pense que la force de nos démocraties réside dans ce qu'elles peuvent accepter : se conformer, de crainte de braquer, relève de la soumission et aboutit, de fait, à une assimilation forcée. Un expatrié peut le subir provisoirement (encore que beaucoup de villes africaines aient leurs quartiers d'expats) mais ici nous parlons aussi d'adolescents nés en Belgique, dans leur majorité, et avec lesquels les enseignants ont un travail à mener : selon ma toute petite expérience personnelle, si l'école affirme et respecte ses repères, il n'y a pas de supposée gangrène mais une réelle tolérance, contrairement à ce qu'une assimilation forcément artificielle pourrait amener d'uniformité. Ceci me permet de rappeler, en argumentation, qu'il faut raisonner et discuter, ce qui place hors champ un croyance qui aurait un statut de vérité exclusivement pour qui y croit.

Quant à l'inburgering flamand, tu peux constater à quel point il déraille ces temps-ci : un électeur sur trois vote pour un parti nationaliste ou xénophobe...

Je persiste donc à penser qu'une intégration peut passer par des modalités beaucoup plus souples, pour autant que l'essentiel soit respecté : droits et obligations du citoyen ou de l'étudiant... En fait, je réfute autant le laxisme qui excuse tout que la trouille qui ferme toute perspective, parce qu'ils sont autant l'expression d'une société qui se craint trop pour s'accepter et qui finit par s'y perdre.

Je remarque d'ailleurs que "l'enquête" du Vif fait l'impasse sur certains aspects constitutionnels qu'il aurait sans doute fallu rappeler, sous peine de les voir exclusivement défendus par les vrais prosélytes, qui sont un danger pour tous, y compris pour notre culture commune.

J'espère que je n'ai pas été trop long.
Amitiés.

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
La tolérance permet d'aplanir bien des angles, mais tout excès nuit: excès de laxisme ou replis identitaires.
Tu sais que ma femme est flamande et catholique... Nos parcours scolaires ont été fort différents aussi.
En bref, elle est tout le contraire de moi!
Pourtant notre mariage tient depuis plus de 45 ans... ce que bien des couples n'ont pas la chance de pouvoir dire, même s'ils se "ressemblent" culturellement.
Mes idées sur les questions d'intégration ne sont probablement pas si éloignées des tiennes: Les "nuances" sont probablement dues à ton immersion dans des humanismes hétéroclites. ;)
Moi aussi, j'ai été long, mais je me le permets, ton lectorat ayant un peu rétréci ces derniers mois, me laissant un peu de place...
Amitiés
P.S. Hors sujet, mais tellement étonnant. As-tu lu l'article d'Eolas de hier, sur le "casse-toi, pov'délit?"
http://maitre-eolas.fr/

Ubu a dit…

Cher Armand,

Pas de problème pour la longueur : tu auras toujours toute la place pour t'exprimer ;-)

Je suppose en effet que nous sommes le fruit d'expériences différentes : j'ai d'ailleurs l'impression qu'il a dû se passer quelque chose d'étrange avec mon éprouvette :-)
Plus sérieusement, ces parcours différents n'empêchent nullement de partager certaines valeurs : quant à leur réalisation, toutes les variations y sont permises, ce qui augure de la vitalité de ces mêmes valeurs et me fait préférer l'intégration à l'assimilation.

J'ai été parcourir le texte de Maître Eolas mais j'avoue que le vocabulaire juridique, malgré un notable effort de vulgarisation, me semble revêtir les apparences d'une langue étrange dont je ne maîtrise assurément pas les atours et la substance.

Amitiés.