mardi, avril 03, 2007

Déontologie professionnelle ?

J'ignore ce que donnerait un comité d'éthique des professeurs : en fait, si j'en crois l'expérience des organismes qui existent dans l'une ou l'autre profession, nous aurions vite accès à des débats verbeux, puisque les pratiques douteuses sont camouflées sous le jargon professionnel. Et les médecins, les journalistes, les avocats que l'on respecte sont ceux, qui, en fin de compte, ont autant le courage de leurs engagements que le sens de leurs responsabilités.

Un professeur devrait assumer ses responsabilités, en dépit des bêtises des directives officielles. Nous n'ignorons pas que la loi n'est qu'un petit, voire médiocre, dénominateur commun et que le juridisme, censé lutter contre les incivilités, n'aboutit dans les faits qu'à un simulacre de justice, mauvaise comédie dont les acteurs ignorent leur rôle. Et pourtant, faute de pouvoir agir sans elle, il nous faut la prendre en compte sans sacrifier notre conception de notre métier.

"Je ne faisais qu'obéir aux ordres" ou "Le ..., c'est la discipline", entendons-nous ici ou là : au nom de l'action, il faudrait se soumettre à l'ordre, aux ordres, aux directives et sacraliser les commandements. Choisir systématiquement la norme, ou la contester de manière aussi systématique, c'est conclure qu'elle est un idéal à atteindre, alors qu'elle n'est qu'un moyen de fonctionner : l'intérêt d'un jeu ne réside jamais dans ses règles mais dans nos facultés à les adapter ou à les transgresser. Sans cela, nous nous résignerions à n'être que des créatures mécaniques, soumises à leur instinct individuel ou à ce supposé code collectif qui se substitueraient à nos propres pensées.

Mes élèves ignorent mes tendances idéologiques : je ne les affiche pas tant qu'ils restent sous ma responsabilité. Je maintiens une relative neutralité philosophique et politique dans mes relations avec eux : sans ce réflexe, plus de débat possible et plus d'argumentation concevable. Je ne puis me concevoir comme une autorité qui concéderait une certaine tolérance dans ce métier que j'ai choisi : je n'ai pas moins de préjugés que mes élèves mais ils sont vécus de manière différente. Des centaines d'élèves les ont remodelés, au fil du temps, me poussant à remettre en question mes objectifs personnels et professionnels, à jouer avec mes propres références tout en évitant de les projeter sur ceux qui m'étaient confiés. Et, finalement et provisoirement, je me suis aperçu que j'appréciais les cadres de référence autant que l'instabilité des interprétations : les premiers me structuraient tandis que les secondes me poussaient à évoluer, comme si les ressorts de l'imagination abolissaient le temps, non sans un certain scepticisme.

Mes élèves peuvent disposer de ce que je leur enseigne, en toute individualité : ce n'est pas nécessairement un cadeau que d'avoir à me contester, à m'approuver ou à me transgresser, puisque j'incarne, parfois malgré moi, l'une de ces autorités qui les abreuve pendant cinq heures hebdomadaires. Il me faut donc essayer de poursuivre cet exercice de haute voltige entre mes idées, celles que j'enseigne, les leurs, et toutes les interactions possibles que la communication met en jeu. Il y a bien des jours où ce jeu d'équilibre perpétuel me fatigue, moi qui trébuche sur le moindre pavé inégal bien concret ou qui connus des emportements radicaux du côté de l'adolescence, d'ailleurs pas tous évanouis. A ces moments de résignations, où mon mauvais caractère se manifeste dans toutes ses sonorités, succèdent des instants d'euphorie, des explosions ou des mises en retrait, selon l'équilibre requis.

Je ne pourrais enseigner en me restreignant à ce dont je serais porteur : mes valeurs et leur hiérarchie, toute relative, n'ont que l'importance d'un port d'attache. Je dois m'en éloigner autant que possible pour les retrouver dans leurs changements, tout comme je dois affronter les territoires méconnus où je m'aventure, avec la certitude d'en revenir modifié. Affirmer des principes, ériger des statues à idolâtrer, édicter des préceptes : autant de comportements qui aboutissent à l'échec de ce que l'on voudrait préserver. De même d'une déontologie professionnelle : elle pourrait tout au plus lutter contre des aberrations manifestes, sans jamais atteindre les consciences, parce qu'elle s'érigerait en principe et nous absoudrait de nos responsabilités et, à terme, de notre autonomie.

Nous avons tout un monde à digérer : il nous modifie autant que nous le changeons. Prétendre le préserver ou le dynamiter, c'est au mieux un réflexe nostalgique de romantique caché dans sa tour d'ivoire, au pire un repli étriqué encastré dans une chapelle quelconque, illusoire et éphémère. Je persiste dans ma réalité au bord des rêves.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
Florilège de truismes. ;) ;)
Certains sont doués pour enseigner, d'autres pas.
Certains élèves essaient d'occuper le terrain, de faire régler leur loi dans les classes.
Parfois céder sur l'accessoire, jamais sur l'essentiel, là est toute la difficulté de ton métier.
Transmettre le savoir n'est pas posséder le savoir.
Amitiés
P.S. Mes commentaires ne sont plus très "intellectuels", il ne faut pas m'en vouloir: c'est l'âge ingrat qui est devenu l'âge du gras.

Ubu a dit…

Cher Armand,

Je ne suis pas vraiment certain qu'il s'agisse de truismes, même si l'idée générale est en fait simple : il y a autant de dogmatiques étriqués dans l'enseignement que partout ailleurs. Et il y a sans doute autant de profs qui n'ont jamais réfléchi sur leurs éducations, celle qu'ils ont reçue et celle qu'ils reproduisent, que d'élèves déphasés.

En fait, enseigner est toujours expérimenter et l'expérience est présente pour lutter contre de mauvaises habitudes : tout comme communiquer ;))

Amitiés.