mercredi, avril 04, 2007

La manifestation

Il balaie les tracts chiffonnés : regroupés sommairement près du caniveau, ils agonisent avant de se retrouver dans la poubelle verte pimpante. L'air sent encore la poudre et le sang, les échos des cris de douleur ont succédé aux cris de colère, jusqu'au silence présent. La ville se réveille, elle a la gueule de bois. Certains évoquent des coups de feu, d'autres des morts ou des blessés, tous baissent la tête, accablés. Les tracts son regroupé en un tas sale : ils s'accouplent dans les derniers soubresauts du vent. Bientôt, le promeneur ne voit plus que les affiches colorées que semble enluminer le soleil : Loterie exceptionnelle, Promotion, Fruits frais. Les ouvriers communaux replacent les pavés un à un : à chaque coup de masse, la ville se lézarde et vieillit, repliée en elle-même. Elle a déjà cicatrisé.

Quelques anciens passent et revoient les rides de ces journées-là : tout leur semblait possible, dans la violence rageuse de leur jeunesse. Aujourd'hui, ils recherchent les ressemblances entre le dessin d'une ride et d'éventuelles irrégularités de la rue mais celle-ci est propre et nette, rasée de frais. Le bruit des klaxons, la fumée des moteurs, les claquements des portières sonnent leur glas à chaque seconde : ils se sont donc battus pour un monde d'indifférence et de vitesse, un monde propre.

Pourtant, quelques graffitis apposés sur une affiche publicitaire les font encore sourire. Une tenue excentrique, une manière de rire aux éclats, un regard noyé de soleil les secouent encore. Alors, le vieillard s'appuie sur sa canne et bloque vingt, trente voitures dans un embouteillage de plomb : ils ne passeront pas. Alors, deux anciens retrouvent leur voix, haute et forte, à en faire vibrer le thé des rombières. Alors, d'anciens combattants bloquent les terrasses, les transports, les rues, les trottoirs et contrefont la vieillesse.

Leurs souvenirs continuent à se battre.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Le chaos
As-tu déjà pensé à ce que les manifestations (dites "pacifiques" pour les plus hypocrites) coûtaient à la société?
Je ne peux m'empêcher de comparer la défense d'intérêts corporatistes comme les grèves à répétition dans les secteurs à "sécurité d'emploi" comme la RATP, SNCF, dockers... et les pertes de revenus générées pour le pays tout entier.
Les personnes au pouvoir d'achat le plus réduit ne feront jamais grève: je n'ai jamais entendu parler de grève autre que de grève de la faim "forcée" chez les sans abris!
L'élite: princes, politiciens, "responsables" religieux, surnagera toujours.
C'est donc la plèbe qui paiera le coût de ces grèves inutiles...
Liberté, que de crimes on commet en ton nom! (Citation connue)
Amitiés.

Ubu a dit…

Cher Armand,

Les manifestations, comme les grèves, sont censées être un rappel pour ceux qui ne réagissent plus alors qu'ils seraient en mesure de le faire...
Quant aux pertes de revenus pour le pays, vive la décroissance : soit la richesse produite est factice, et point barre ; soit la richesse est réelle et les financiers sont là pour faire joli (quoique les goûts et les couleurs...)

Quant à l'élite, il faudrait lui rappeler sa dépendance totale : un politicien se renvoie, un prêcheur peut se retrouver devant une salle vide, un prince peut se voir privé de dotation. Il n'y a même plus besoin de rappeler la Terreur face à des fantoches.

Mais il faut oser sa liberté : sur les murs... j'écris ton nom (autre citation connue !)

Amitiés ;)

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
Vive les piquets de grève devant les écoles en solidarité avec les éjectés par les "affaires" ( je ne précise pas car j'ai peur de faire des jaloux) privés de pots-de-vin! ;)
Les "écoliers buissonniers" ont déjà pris les devants en ne se présentant pas pendant leur troisième semaine de vacances facultatives!
Amitiés.

Ubu a dit…

Cher Armand,

Je ne fais grève qu'avec circonspection : jamais pour des élus d'un quelconque parti ni pour les recalés des "mauvaises" affaires ;)

Amitiés