mardi, mai 08, 2007

Les honnêtes gens...

Avec la campagne électorale, j'ai pu voir refleurir ces avis confondants de ceux qui se prévalent des honnêtes gens. Ah, l'honnêteté ! Quelle splendide candeur que celle de ces bourgeois de peu, qui se rappellent des siècles passés, de crainte de tomber dans l'euphémisme de la classe moyenne.

Les honnêtes gens ont peur de leur ombre, les honnêtes gens plébiscitent la sécurité et préparent les dictatures morales : mais les honnêtes gens n'éprouvent plus de complexe à affirmer tout haut leurs rancoeurs exprimées, d'habitude, sous la couette salvatrice de leurs journées épuisantes, après l'extinction de cette superbe télévision qui renforce leur honnêteté en leur vidant les restes de cervelle.

Sans vouloir paraphraser Orson Welles, qui rappelait que l'Italie, en trente ans de règne des Borgia, avait consacré la Renaissance italienne, tandis que la Suisse avait produit, en cinq siècles d'honnêteté paisible, le coucou, j'avouerai à mes chers lecteurs, que je suppose aussi malhonnêtes que moi, que l'honnêteté m'emmerde.

Je ne vois, en cette honnêteté-là, qu'un affadissement du sens de l'honneur, qu'un abêtissement commun de la parole donnée. Même le grand siècle, qui favorisa l'idée de l'honnête homme, la traduction de l'idéal féodal dans une société policée, n'avait osé aller si loin. L'honnête homme, sous Louis XIV, était un bon courtisan mais avait au moins le bon goût de ne pas se poser en victime. Nos honnêtes gens ne sont, par comparaison, que des pitres douteux, marionnettes tendues par les filets de leur sainte trouille, à la recherche de tous les courants conservateurs qui les prémuniront de la couperose en particulier et de l'avenir en général. Ces honnêtes gens que le politiquement correct révulse (moi aussi, mais pour d'autres raisons, je ne vais tout de même pas m'injurier moi-même), revendiquent la possibilité d'être cons en permanence et douillettement : comme si affirmer leur bêtise les vaccinait de leur prochaine disparition.

Il faut les prémunir de leurs craintes illusoires, les rassurer face à ces invasions de leurs phantasmes, les couvrir de moralité et d'honneurs puisqu'ils sont la France d'en bas, les vraies personnes avec des vrais problèmes, dont les candidats sont beaucoup plus soucieux que les responsables politiques. En fait, ces honnêtes gens tonitruent pour que leurs peurs très communes soient partagées à force de sondages, pour que leur confort ne soit pas saccagé par quelque sauvageon pas encore apprivoisé, pour que les choses ne changent pas.

Pourquoi râlerais-je donc contre cette honnêteté dévoyée ? Au fond, j'aime la morale davantage que la moralité, puisque je préfère à l'illusion du confort les réalités de l'audace, parce que je ne puis croire en l'émancipation du boutiquier, la nouvelle appellation de la domesticité de l'Ancien Régime, parce que je me sentirais mourir si je me me lovais dans les chaussons de l'honnêteté et parce que je ne vois guère de distance entre les appétences des honnêtes gens et celles des voyous communs.

Ma misanthropie naturelle se radicalise parfois au spectacle de la connerie ordinaire : celle-ci se vêt de tous les oripeaux, de ces hardes du bon sens qui se replie sur lui-même, comme s'il fallait se coucher pour une longue et lente agonie, alors que je préfère me coucher en galante compagnie. Je n'aime pas cette bêtise effarouchée de la moindre audace : elle exaspère mon peu de patience.

Je suis et reste partisan de la bêtise extraordinaire, de celle qui s'étonne de ses propres pirouettes. Je préfère mon idiotie, parfois idéaliste, à l'honnêteté : la première, au moins, ne se cantonne pas dans ces concessions qui fleurissent dans les cimetières.




5 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
Il aurait fallu définir l'honnêteté, je crois.
Le prof qui donne des cours particuliers au noir, le petit artisan qui bricole une petite réparation sans facture, un conducteur qui n'approvisionne pas son parcomètre sont-ils des honnêtes gens?
Autrement dit, y a-t-il un seuil en deçà duquel un délinquant doit être dénoncé et puni sévèrement? En Italie du Sud et en Corse, par exemple, l'Omerta joue même parfois pour les meurtres.
Je suis persuadé qu'il y a autant d'opinions que de personnes...
C'est le bon vieux paradoxe du tas de blé... modernisé par la notion de "majorité silencieuse".
Amitiés

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
J'ai oublié de dire que seuls des honnêtes gens sont éthiquement aptes à juger de l'honnêteté des autres.
J'ai bien peur qu'il n'y ait pas beaucoup de candidats-juges qui passeraient le test d'embauche à l'autorisation de délation...
Amitiés

Ubu a dit…

Cher Armand,
L'honnêteté est un produit rare et intangible : ceux qui la pr^nent en ont rarement un échantillon sur eux ;))

En fait l'honnêteté se confond de plus en plus avec l'étouffoir des lois, ce qui reste paradoxal : un minimum de sens moral (et non de moralité) nous place bien au-delà de la loi, pour peu que cette dernière ne vise pas à régir certaines libertés fondamentales ou à nous soumettre.Certaines fautes restent vénielles...

Les "honnêtes gens" ont ce côté intrusif des acariens : ils me montent au nez avec leurs certitudes et ne remettent jamais en cause "leurs" opinions, qui ne sont qu'une déformation des majorités silencieuses, mâtinées de minorités vagissantes. Et l'omerta se traduit ainsi dans les clauses de confidentialité réclamées par une quelconque entreprise, un parti ou un mouvement politique, au nom de la survie d'institution qui tournent à vide : en fait, seul l'esprit de clan les maintient ;))

Sinon, quelqu'un de vraiment honnête ne peut juger : il peut jauger, soupeser, penser, réfléchir, apprécier, goûter, humer, aimer mais sûrement pas juger. Ce serait détruire tant d'hypothèses si mignonnes ;))

Amitiés

Anonyme a dit…

Cher Ubu,
Il y a un monde entre le droit et la justice (hors sens juridique, évidemment)...
Je crois que Maître Eolas en avait parlé un jour dans un de ses posts.
http://maitre.eolas.free.fr/
Amitiés.

Ubu a dit…

Cher Armand,

Le droit est un contrat de société, la justice un impératif moral ;)

Amitiés